Florilège varié de musique anglaise chez Decca Eloquence

par

Eric Coates (1881-1957) : The Three Elizabeths - Suite ; Four Centuries - Suite ; The Three Bears - A Phantasy ; The Dance of the Orange Blossoms (The Jester at the Wedding) ; The Three Men - Suite. Albert Coates (1882-1953) : Suite from the Dramatic Music of Henry Purcell. Sir Edward Elgar (1857-1934) : Variations on an Original Theme, op. 36 « Enigma ». Sir Noël Coward (1899-1973) : London Morning, ballet (orchestration : Gordon Jacob). New Symphony Orchestra of London, direction : Eric Coates. London Symphony Orchestra, direction : Sir Malcolm Sargent. London Philharmonic Orchestra, direction : Geoffrey Corbett. Enregistré le 3 mai 1949, du 5 au 7 janvier 1953, du 3 au 4 février 1953 et du 17 au 18 juillet 1959 aux Kingsway Hall et Decca Studios West Hampstead, Londres. Édition 2021. Livret en anglais. 68’06, 75’14. 1 double CD Decca « Eloquence » 4840190.

Universal Australie continue d’écumer les archives Decca en publiant sous forme de deux CDs quatre antiques microsillons Decca dont le point commun est qu’ils sont en mono et honorent tous la musique anglaise par des interprètes anglais. Toutefois il convient de préciser que, hormis Henry Purcell arrangé par Albert Coates (1882-1953), et Edward Elgar (1857-1934), c’est plutôt le côté musique orchestrale légère qui l’emporte, avec plus ou moins de bonheur.

Les passionnés d’enregistrements historiques connaissent bien le chef d’orchestre Albert Coates (1882-1953) qui nous a légué quantité de 78 tours d’orchestre et d’extraits d’opéras gravés entre 1919 et 1945. Il est moins connu comme compositeur (de sept opéras, notamment), et lorsqu’il écrit la Suite de la musique dramatique de Henry Purcell en 1921, elle est l’une des nombreuses qui ont été arrangées de temps à autre pour sauver la musique de Purcell des pièces théâtrales -dont beaucoup sont maintenant oubliées- pour lesquelles elle a été écrite. On accueillera donc avec plaisir son arrangement de 1921, sous forme de suite pour cordes, sobre et respectueux, de pages de Henry Purcell (1659-1695). Ce sont ainsi Rondeau, Slow air, Air, Minuet et Finale qui se succèdent, basés sur Abdelazer, or The Moor’s Revenge, Z.570 (1695) ; Distressed Innocence, or The Princess of Persia, Z.577 (1694) et Bonduca, or The British Heroine, Z.574 (1695). Le thème du Rondeau d’Abdelazer est familier dans le monde entier grâce au Young Person’s Guide to the Orchestra (Variations et Fugue sur un thème de Purcell) de Benjamin Britten, ce dernier ayant très probablement emprunté le thème à la suite de Coates plutôt qu’à la partition originale de Purcell.

Les Variations Enigma, op. 36 (1899) d’Edward Elgar, comprenant un thème et quatorze variations, et dédiées « à mes amis décrits ici », sont bien trop connues pour encore être commentées, ayant reçu les honneurs des plus illustres chefs d’orchestre du XXe siècle dont Leonard Bernstein, Pierre Monteux, Arturo Toscanini, et bien sûr les trois Sirs : John Barbirolli, Adrian Boult et Malcolm Sargent (1895-1967), véritables champions de cette œuvre. Sargent, plus extraverti que ses deux compatriotes, en livre une version passionnée qui prend tout son temps, ciselant le moindre détail de chaque variation et réussissant un finale enthousiasmant d’une grandiose ampleur. Par ailleurs il se montre à juste titre plus réservé dans son interprétation de l’arrangement de Purcell par Albert Coates, sauf à mi-chemin du finale où une modulation inattendue conclut l’œuvre en apothéose solennelle.

Si certains compositeurs britanniques, comme Bax, Vaughan Williams ou Walton, ont suivi l’exemple d’Elgar en permettant à la musique symphonique anglaise de se développer selon ses propres règles, sans convention continentale, d’autres ont suivi une autre tradition, moins insulaire dans l’attrait, plus légère dans le contenu, mais marquée par le même savoir-faire en matière de mélodie et d’orchestration que les œuvres des symphonistes : l’école orchestrale de musique anglaise dite « légère » a débuté avec Arthur Sullivan (1842-1900). Son doyen suivant fut sans aucun doute Edward German (1862-1937) dont le leadership dans ce domaine est ensuite passé à Eric Coates.

Eric Coates (1881-1957) est considéré comme l’archétype du compositeur britannique de musique orchestrale « légère » (ou Concert Music) dont ont raffolé les Anglo-Saxons dans les années 30 à 60 et qui est sujette à un regain d’intérêt de nos jours. Ayant acquis une formation d’altiste et en composition à la célèbre Royal Academy of Music de Londres, Coates est alto principal entre 1912 et 1919 au Queen’s Hall Orchestra de Sir Henry Wood, ce qui lui permet de jouer sous la baguette de personnalités telles que Bantock, Delius, Elgar, German, Holst, Richard Strauss, et d’apprendre ainsi la direction d’orchestre par l’observation. Il est d’ailleurs révélateur de constater que Elgar tenait suffisamment Coates en estime pour avoir un ordre permanent envers la Gramophone Company afin de lui fournir chacun des nouveaux enregistrements d’Eric Coates au fur et à mesure de leur parution, et il avait littéralement usé jusqu’à la corde celui de sa suite Summer Days… De grands chefs, comme Adrian Boult, Charles Groves ou Charles Mackerras, n’ont pas hésité à mettre les œuvres de Eric Coates à leur répertoire.

Lorsqu'elle est dirigée par le compositeur, la musique de Coates, le plus souvent optimiste avec des moments de rêverie poétique et constamment inventive dans ses trouvailles harmoniques, est particulièrement vive et pétillante. Ce n’est pas le musicien des grandes formes et ses pièces ne dépassent pas les cinq minutes, à de rares exceptions près. Beaucoup sont assemblées sous forme de suites par trois ou quatre, comme The Three Men, The Three Elizabeths, ou Four Centuries ; d’autres sont plus ambitieuses et plus longues, comme The Three Bears (Boucles d’Or et les Trois Ours) écrit pour son jeune fils Austin qui adorait ce conte, et surtout sa délicieuse Rhapsodie pour saxophone et orchestre (1936) dédiée à et créée par le grand instrumentiste Sigurd Rascher.

Quant à la musique qui conclut cette anthologie, celle du ballet d’une trentaine de minutes London Morning composée par Sir Noël Coward (1899-1973), dramaturge, compositeur de moult chansons et revues comiques, metteur en scène, acteur, chanteur anglais (oui oui, tout cela !…), il faut bien reconnaître qu’elle n’arrive pas à la cheville de celle d’Eric Coates : pleine de lieux communs dans ses tournures mélodiques et banale dans son harmonisation simpliste, en un mot ennuyeuse, on se demande bien ce qui a amené l’excellent Gordon Jacob (1895-1984), par ailleurs très estimé du redoutable Vaughan Williams, à orchestrer cette production insipide, défendue comme il a pu par le chef Geoffrey Corbett (1908-1996), rompu à la scène mais qui n’a pas laissé beaucoup de souvenirs de nos jours… « Qui trop embrasse mal étreint » !…

Son : 9 - Livret : 9 - Répertoire : 8 - Interprétation : 9

Michel Tibbaut

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