Genres variés pour un vendredi après-midi

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C'est la mezzo française Aude Extremo, accompagnée du subtil piano de Jonas Vitaud qui ouvre cette dernière après-midi de la première épreuve. Sa longue tessiture convient parfaitement au brillant rossinien de l'air d'Isabella « Cruda sorte » extrait de l' « Italienne à Alger » faisant valoir un timbre chaleureux, une émission large, des moyens évidents. Des ornements intempestifs et des passages pas toujours homogènes n'empêchent pas d'apprécier le contraste avec le legato suivant du célèbre « Mon cœur s'ouvre à ta voix ». Cette page, d'articulation difficile, expose beaucoup cette voix encore jeune. La tête dans les épaules, émergeant d'un nuage de volants rose bonbon, la coréenne Lee Haegee, aux suraigus aussi sonores que faciles interprète la folie d'Ophélie (celle de l'Hamlet d'Ambroise Thomas) comme si elle découvrait une vipère sous ses pieds. Non dénuée de qualités et de charme, l’émission reste instable et le style -français comme allemand avec « Befreit » de Richard Strauss- peu adéquat. Impression immédiate d'aisance avec la soprano nîmoise Jennifer Michel qui a choisi de présenter l'air d'Adèle (« Fliedermaus ») et « O luce di quest'anima » de Donizetti. Le tout est enlevé avec vivacité, un sens du rythme, des nuances de couleurs et d'affect tout à fait séduisants. On attendait avec curiosité la prestation de l'alto canadienne Heather Flemming. Le velouté chaud du timbre d'où surgit l'acuité des aigus distille une réelle émotion. La diction fondante, l'excès de volupté d'  « A Chloris » de Reynaldo Hahn -qui n'en demande pas tant!- et le « Sehnsucht » de Richard Strauss laissent l'impression d'une volonté démonstrative, d'une personnalité artistique encore en devenir. Attente tout aussi soutenue pour le contre-ténor italien Carlo Vistoli excellemment accompagné par Nino Pavlenichvili. Attente comblée pour le public qui se laisse subjuguer par l'Ottone de « L'incorazione di Poppea » de Monteverdi. La voix est naturellement belle, bien soutenue, certes un peu serrée dans les aigus, pas toujours homogène et en recherche d'une certaine confiance et d'une liberté hédoniste. L'apparition de la gracieuse soprano roumaine Florina Ilie drapée dans une mousseline abricot, cheveux de nuit et larges pommettes à la Jackie Kennedy fait sensation. Le choix stratosphérique , « O quante volte » d' « Icapuleti e I Montecchi » de Bellini, planant sur une quasi absence de piano montre une interprète sensible pleine de délicate poésie. Retour sur terre avec une mélodie roumaine bien banale en deuxième choix ! C'est le ténor coréen Kim Seung Jick, tout en rondeur qui aborde après la suspension de séance, le « spirito gentile » extrait d'une « Favorite » décidément très chantée. Voix singulière, épaisse, large et ouatée, phrasée avec vaillance. Il fait un sort à la mélodie de Rachmaninov, voulant trop prouver. Même si les abîmes de la désinvolture tragique des Slaves est absente, le public est enchanté. L'air « Erbarme dich » de la « Passion selon Saint Matthieu » vient ensuite, introduit par Philippe Riga tout aussi remarquable que ses confrères. Toute frêle dans une petite robe noire, la mezzo québécoise Marie-Andrée Mathieu se démarque en osant l'oratorio où elle déploie une ligne vocale souple, sobre et émouvante. Mais l'évanescence des graves se remarque comme dans l'aria de Rosine du « Barbier de Séville » qui suit, pourtant emmenée avec énergie et des ornements à profusion. Le modeste format vocal de la longiligne Bulgare qui lui succède déconcerte au premier abord. Musicale, se fondant dans le piano délicat de Daniel Blumenthal, Plamena Girginova plie sa voix ténue, presque juvénile aux accents célestes de l'Archange Gabriel (Die Schopfüng)... à donner des frissons. Mais la Norina de Donizetti « So anch'io la virtù magica » manque trop d'énergie, de vitalité que la caressante musicalité et un trille suraigu ne compensent pas. Bien qu'articulant un idiome connue d'elle seule en guise du français de Verlaine (« Pantomime »), la beauté immédiate de la voix suivante est simplement renversante. Très jolie dans les drapés savants d'une robe vanille, la coréenne Lee Yeonjin prodigue un plaisir esthétique à l'état pur quand bien même l'interprétation de Debussy serait éloignée de l'esprit de la mélodie française. Il y a une plénitude, une homogénéité, une santé qui font merveille chez Donizetti. « O Luce di quest'anima » où la jouissance des vocalises rivalise avec la plénitude du phrasé et d’irrésistibles ornements. Enfin, avec un chant large, beaucoup de vigueur, un beau « creux » mais une tension excessive Lee Myong-Hyun conclut la séance d'après-midi avec l'Italianische Sanger du « Rosenkavalier » de Richard Strauss, avant Werther -« Pourquoi me réveiller ?»- habilement conduits en dépit d'aigus franchement massifs et de quelque chose d'un peu impersonnel dans l'interprétation.
Bénédicte Palaux Simonnet
Flagey, vendredi 16 mai 15h

 

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