Happy birthday (again), Arvo Pärt !

par

Arvo Pärt (né en 1935) : Which Was the Son of… ; Festina Lente ; Tribute to Caesar ; Sequentia ; The Deer’s Cry ; Miserere ; Ja ma kuulsin hääle… (And I Heard a Voice…).  Chor des Bayerischen Rundfunks, Münchner Rundfunkorchester, Oenm. Oesterreichisches Ensemble für Neue Musik, dir. Howard Arman. 2021. Notes en allemand et en anglais. Textes chantés en latin, anglais et estonien, traduits en allemand et en anglais. 71'54. BR Klassik 900527.

Lors du premier concert d’abonnement de la saison 2020-21, les Chœurs de la Radio Bavaroise avaient prévu de fêter celui qui demeure sans doute le compositeur contemporain le plus joué de nos jours : Arvo Pärt. C’eût été l’occasion pour les choristes de célébrer également les trois-quarts de siècle de leur ensemble. On devine, hélas, ce qu’il advint de ce double anniversaire : pandémie oblige, Pärt resta chez lui et le public fut, lui aussi, renvoyé à ses pénates. Le programme fut néanmoins enregistré. 

La popularité d’Arvo Pärt lui vaut d’être encensé tous les cinq ans, comme le fut une autre mascotte des mélomanes, Krzysztof Penderecki, disparu il y a tout juste un an. Il y a cinq ans, donc, le chœur bavarois avait donné de la voix pour souffler les quatre-vingt bougies du compositeur estonien, interprétant L’abbé Agathon, Adam’s Lament et Pilgrims’ Song sous la direction d’Olari Elts. Les relations qui unissent cet ensemble vocal prestigieux à l’auteur de Tabula Rasa et de Für Alina ne datent cependant pas d’hier : les Chœurs de la Radio bavaroise peuvent en effet se vanter d’avoir créé Passio dès 1982, à une époque où la musique d’Arvo Pärt commençait à peine à séduire les masses et à s’attirer l’hostilité de l’avant-garde progressiste. En 2001, moins d’une semaine après les attentats du 9 septembre, Tõnu Kaljuste dirigea les chanteurs munichois dans le Magnificat et le Te Deum au Prinzregententheater de Munich. Mariss Jansons, nommé chef principal de l’Orchestre Symphonique et des Chœurs de la Radio Bavaroise en 2003, ainsi que Peter Dijkstra, qui accéda deux ans plus tard à la fonction de directeur artistique du même chœur, remirent régulièrement Pärt au programme des deux formations. Le chef et compositeur londonien Howard Arman succéda à Dijkstra en 2016, donnant notamment, trois ans plus tard, la création allemande de Ja ma kuulsin hääle. 

On oublie quelquefois qu’avant de connaître le succès prodigieux qui le poursuit sans relâche depuis le début des années 1990, Pärt adhéra à une esthétique volontiers expérimentale (Pro et Contra, Collage über Bach, Perpetuum Mobile,…), qu’il finit par reléguer au placard, la jugeant stérile et sans avenir. S’ensuivit une traversée du désert de trois ans, au cours desquels le compositeur fit silence et s’attacha à étudier de près l’organum parisien, échafaudé par l’école de Notre-Dame (Léonin, Pérotin), et la polyphonie des maîtres franco-flamands. De cette retraite studieuse naquit le fameux style tintinnabuli qui évoque le tintement des cloches et caractérise les pages de Pärt postérieures à 1976. Réhabilitant la primauté de la triade, il conjugue généralement des échelles diatoniques évoluant par degrés conjoints à des voix constituées d’intervalles issus de l’accord parfait de tonique.

Ce disque est le troisième que les Chœurs de la Radio Bavaroise et l’Orchestre de la Radio de Munich consacrent à Arvo Pärt. Alors que, dans les deux précédents, Peter Dijkstra était au pupitre et que, dans l’un d’eux, le fameux Hilliard Ensemble (dont il est inutile de rappeler le rôle primordial dans la propagation de l’œuvre de Pärt) prêtait main forte aux choristes allemands, c’est ici le Oenm. Oesterreichisches Ensemble für Neue Musik, ensemble de solistes de taille moyenne créé en 1975 et qui compte plusieurs centaines de créations à son actif, qui renforce les effectifs. 

Le principal intérêt de cet enregistrement réside dans le programme qui, s’il n’est composé que d’œuvres ayant vu le jour après la rupture esthétique de 1973, n’en propose pas moins un échantillonnage varié. Outre trois pièces pour chœur a cappella -Tribute to Caesar (1997), Which Was the Son of… (2000), The Deer’s Cry (2007) et Ja ma kuulsin hääle… (And I Heard a Voice…) (2017)- figurent sur ce disque l’un des fleurons du catalogue d’Arvo Pärt, Festina Lente (1986/1988), pour orchestre à cordes et harpe ad libitum, ainsi que deux œuvres peu enregistrées : Sequentia (2005, révisé en 2019) pour violon, percussion et orchestre à cordes, et le Miserere (1989, révisé en 1992) pour solistes, chœur mixte, ensemble et orgue. 

Dans Festina Lente, dont le titre (« Hâte-toi lentement ») était l’une des maximes favorites de l’empereur Auguste, Arvo Pärt se sert de la technique du canon mensuraliste, empruntée à Ockeghem et aux autres maîtres érudits du Moyen-Age tardif et de la Pré-Renaissance : une même ligne mélodique s’y déploie dans un tempo « normal » aux altos, en diminution (deux fois plus vite) aux violons, et en augmentation (deux fois plus lentement) aux violoncelles et aux contrebasses. La même technique réapparaît dans plusieurs pièces de Pärt, dont le Cantus in memoriam Benjamin Britten (1997) et le Dies irae du Miserere (esquissé dès 1976 sous le titre Cadix), où une gamme descendante en la mineur s’articule en cinq niveaux de tempo -la durée de la note la plus longue étant 16 fois supérieure à celle de la note la plus rapide.

Le Miserere, qui occupe à lui seul près de la moitié du disque, requiert un effectif relativement conséquent : 5 solistes (SATTB), chœur mixte, hautbois, clarinette, basson, trompette, trombone, deux guitares électriques (dont une basse), percussion et orgue. L’instrumentation varie cependant au fil de l’œuvre. Après les trois premiers versets du Miserere proprement dit (versets 3 à 21 du Psaume 51, selon la numérotation latine), confiés aux solistes, Pärt intercale les sept premiers versets du Dies irae, qui convoquent la totalité des effectifs. Les solistes s’approprient ensuite les seize versets suivants du Miserere. L’œuvre s’achève sur le huitième verset du Dies irae, qui fait appel au chœur et aux soprano et alto solos. Sans surprise, le premier verset du Dies irae, annoncé par un crescendo et un roulement de timbales, accuse un caractère apocalyptique que l’on ne retrouve que rarement chez Arvo Pärt. 

De toutes les œuvres reprises sur ce CD, il existe au moins une version discographique concurrente -les meilleures sont dues au Hilliard Ensemble ou à Vox Clamantis chez ECM, à Ars Nova Copenhagen chez Harmonia Mundi et à l’ensemble Polyphony de Stephen Layton chez Hypérion. Les choristes bavarois et l’ensemble instrumental autrichien s’en tirent plus qu’honorablement au regard de ces phalanges d’exception. Les voix sont claires, colorées et tout en rondeur, l’intonation presque exemplaire. La harpe répond présent dans Festina Lente, choix judicieux qui donne de la résonance aux voix graves. C’est donc essentiellement par la prise de son que ce disque se distingue des enregistrements de référence : alors que ces derniers avaient, à bon escient, opté pour une acoustique riche, bénéficiant d’une réverbération qui, sans être excessive, parait les voix d’une chaleur et d’un relief bienvenus dans ce type de répertoire, BR Klassik a fait le choix d’une captation en studio ou en salle de concert. La plupart des œuvres n’en souffrent guère, à l’exception toutefois du Miserere, enregistré en public à la Fondation Mozarteum de Salzbourg le 21 juillet 2019 ; ici, les mélomanes pointilleux, friands d’une écoute au casque, pourraient être quelque peu incommodés par la prise de son qui n’est pas irréprochable. L’oreille se perd dans le tutti tonitruant du Dies irae, magma informe au sein duquel on peine à distinguer les lignes vocales et instrumentales ; en comparaison, l’interprétation du Miserere par le Hilliard Ensemble, chez ECM, est d’une clarté inégalable. 

Reste qu’aucun autre disque ne regroupe, à notre connaissance, plus de la moitié des œuvres figurant sur celui-ci et que Sequentia, Ja ma kuulsin hääle… (And I Heard a Voice…) et le Miserere n’ont reçu qu’assez rarement à ce jour les honneurs d’une captation. Contrairement à ce qui est le cas dans l’enregistrement qu’en a réalisé ECM en 1991, le Miserere est séquencé en vingt-et-une plages (soit une par verset, hormis les sept premiers versets du Dies irae, regroupés sur une plage), ce qui permet une meilleure lisibilité de l’œuvre. Les quelques faiblesses de ce disque sont donc loin d’en faire oublier les qualités, qui restent très appréciables. Peut-être le plus grand défaut de ce CD concerne-t-il, en fin de compte, l’absence dans la notice de tout commentaire concernant le programme…

Son : 8 (Miserere : 7) - Livret : 7 – Répertoire : 8 - Interprétation : 9

Olivier Vrins

 

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.