Haydn en clair-obscur avec l’Orchestre National Auvergne-Rhône-Alpes et Thomas Zehetmair

par

Joseph Haydn (1732-1809)  : Symphonie n°99 en mi bémol majeur, Hob. I: 99 et  Symphonie n°104 en ré majeur, Hob. I: 104,  «Londres ».  Orchestre National Auvergne-Rhône-Alpes, direction : Thomas Zehetmair. 2024.  Livret en français et anglais. ONA. 2025/1/1   

Il est des rencontres qui semblent aller de soi. Celle de l’Orchestre d’Auvergne et de Thomas Zehetmair en fait partie. Depuis sa prise de fonction, on savait le violoniste-chef capable d’allier cette précision quasi-microscopique héritée de son travail chambriste à une vision d’ensemble d’une rare cohérence. Encore fallait-il voir comment cette rigueur lumineuse allait se mesurer à l’univers de Haydn, ce maître du clair-obscur orchestral que l’on croit connaître et qui nous échappe toujours un peu. La parution de cet album consacré aux Symphonies n°99 et n°104 vient lever toute ambiguïté : la rencontre fonctionne. Et même au-delà.

Dès les premières mesures de la 99, un détail frappe : la respiration collective, cette capacité de l’ensemble à laisser la musique se déployer naturellement, sans empressement mais sans lourdeur. Zehetmair n’est pas du genre à bousculer Haydn par principe ; il préfère l’évidence à la démonstration, le phrasé sculpté à la va-vite aux effets cosmétiques qui pullulent trop souvent dans ce répertoire. On avance donc avec une clarté presque mozartienne, mais nourrie d’une vigueur rythmique typiquement haydnienne. Les contrechants émergent, les vents dialoguent comme s’ils avaient attendu des années ce moment de liberté retrouvée, et l’on redécouvre soudain une symphonie que l’on croyait domestiquée.

Les « pour » de cette interprétation y verront un travail ciselé, précis, élégant, fidèle à l’esprit de Haydn sans céder au fétichisme musicologique. Les « contre » jugeront peut-être l’approche un rien trop sage, trop “chambre d’écho idéale” et pas assez “choc des titans”. Mais Haydn n’est pas Mahler. Rien ne sert de vouloir ouvrir un canyon émotionnel quand une colline bien dessinée suffit à enchanter.

La 104, dite « Londres », ouvre un tout autre horizon. Ici, Zehetmair ose davantage, comme si la dernière symphonie de Papa Haydn lui donnait la permission de pousser l’orchestre vers ses limites expressives. Le fameux Adagio introductif prend des allures d’appel au théâtre, majestueux mais sans grandiloquence. Puis le mouvement vif explose avec une vitalité jubilatoire : l’Orchestre d’Auvergne y déploie une articulation d’une netteté exemplaire, presque jubilatoire, comme si chaque pupitre savourait sa propre virtuosité.

On pourrait regretter, çà et là, un manque de grain, cette densité que de plus grandes phalanges apportent naturellement dans Haydn. Mais ce serait passer à côté de l’essentiel : la lisibilité. Tout est audible, tout respire, tout s’agence avec une logique implacable. Là où certains orchestres empâtent les lignes, Zehetmair affine, allège, structure. Un vrai travail d’orfèvre.

Le dernier mouvement, emporté avec une énergie communicative, fait oublier les rares moments où l’on aurait aimé un souffle plus massif. L’orchestre s’y montre conquérant, précis, presque joueur, comme conscient que cette symphonie clôt non seulement un cycle mais aussi un langage musical entier.

Au total, ce disque s’impose comme une jolie réussite solide, intelligente, cohérente. Pas de révolution ici (les références restent Brüggen, Dorati, Davis…), pas de manifeste esthétique : juste un Haydn limpide, vivant, d’une probité exemplaire, servi par un orchestre parfaitement tenu et un chef qui sait exactement où il va. On ressort de l’écoute avec cette impression rare d’avoir entendu Haydn pour ce qu’il est vraiment : un génie de la lumière subtile, du sourire intérieur, des surprises millimétrées.

Et cela, en ces temps où l’on confond trop souvent volume sonore et profondeur musicale, est déjà une forme de victoire. Bien joué les Auvergnats !

Son : 10 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9

Bertrand Balmitgère

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.