Herreweghe et l’Orchestre des Champs-Élysées à Bozar
Ce mercredi 3 décembre se produit l’Orchestre des Champs-Élysées à Bozar. La phalange fait halte dans la capitale belge dans le cadre de sa tournée européenne, sous la direction de son fondateur et directeur musical Philippe Herreweghe. Deux œuvres sont au programme : la Troisième Symphonie en mi bémol majeur, op. 55 de Beethoven, dite « Héroïque », et le Requiem en do mineur de Luigi Cherubini. Pour la seconde partie, le Collegium Vocale Gent, également fondé par Herreweghe en 1970, se joint à la formation orchestrale.
Le concert s’ouvre avec l’Héroïque. Les deux œuvres de la soirée entretiennent, de près ou de loin, un lien avec Napoléon Bonaparte : Beethoven avait initialement envisagé de dédier sa symphonie au Premier consul, avant de renoncer lorsqu’il se proclama empereur ; Cherubini, quant à lui, chercha à se concilier les faveurs d’un homme exerçant une forte influence sur la vie culturelle et artistique.
Philippe Herreweghe et l’Orchestre des Champs-Élysées proposent une interprétation élégante sur des instruments d’époque. Ce choix confère à l’œuvre une sonorité singulière, plus ronde et chaleureuse, notamment dans les vents, par contraste avec la puissance d’un orchestre moderne. Une grande attention est portée aux détails d’articulation, aux accents incisifs et à la dynamique interne. Les tempos, vifs, surprennent agréablement dans le deuxième mouvement, dont la marche funèbre, plus mobile qu’à l’accoutumée, gagne en tension expressive. Le premier mouvement, d’un élan dansant, trouve son pendant dans un Scherzo tout aussi vif, avec un trio aux appels triomphants porté par les cornistes. Le finale, quant à lui, conclut la symphonie avec énergie et maîtrise.
L’équilibre des pupitres de cordes se révèle globalement satisfaisant, malgré quelques légères imprécisions de justesse chez les violoncelles. Les vents se distinguent par la finesse de leurs interventions, notamment dans les passages exposés. On regrette cependant qu’ils soient parfois relégués au second plan dans les moments orchestraux plus denses, comme au développement du premier mouvement, où le contrechant des violoncelles masque partiellement la ligne mélodique principale du hautbois. Hormis ces quelques légers déséquilibres, le soin apporté aux contrastes et aux nuances mérite d’être souligné. La lecture proposée par le chef gantois et son orchestre, saluée par de chaleureux applaudissements, convainc par sa cohérence et sa musicalité.
Après la pause, place au Requiem en do mineur de Luigi Cherubini. Premier des deux requiems du compositeur, il est écrit en 1816 pour commémorer l’exécution de Louis XVI. Admiré par Beethoven, Brahms, Schumann ou encore Berlioz, il sera même donné lors des funérailles de Beethoven en 1827. Notons que Cherubini ne recourt ni à un quatuor de solistes, ni aux flûtes, s’écartant en cela de la tradition liturgique.
Philippe Herreweghe et ses deux ensembles livrent une interprétation d’une grande qualité. Le Collegium Vocale Gent se distingue par une diction d’une clarté exemplaire et une précision remarquable, tout en conservant un timbre rond et chaleureux. L’éventail dynamique est largement exploité, donnant à l’œuvre une profondeur contrastée, d’autant plus appréciable dans une partition qui sollicite continuellement le chœur.
L’Orchestre des Champs-Élysées, familier de cette collaboration avec le chœur gantois, répond avec la même cohésion en conservant une transparence de son appréciable. Cette lisibilité ne se fait jamais au détriment de l’engagement : la lecture se révèle vive et animée, contrastant parfois avec la nature funèbre de l’œuvre. Par ailleurs, l’usage mesuré du vibrato — déjà notable dans l’Héroïque — contribue à clarifier la texture et à recentrer l’écoute sur l’essentiel.
Les artistes du soir sont menés avec brio par Philippe Herreweghe avec le Dies irae s’imposant comme l’un des sommets dramatiques de la partition, tandis que le Pie Jesu offre un moment suspendu, empreint de sérénité. Après un silence retenu, le public, venu en grand nombre pour un concert presque complet, salue avec chaleur l’interprétation de cette œuvre trop rarement donnée au concert.
Bruxelles, Bozar, le 3 décembre 2025
Thimothée Grandjean
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