Hugo Distler et la sérénité fervente de son « Histoire de Noël »

par

Hugo Distler (1908-1942) : Die Weihnachtsgeschichte opus 10. Adam Riis, ténor ; Concert Clemens, direction Carsten Seyer-Hansen. 2022. Notice en anglais et en allemand. Textes en allemand, avec traduction anglaise. 40’17’’. Our Recordings 6.220684.

Né à Nuremberg, le compositeur allemand Hugo Distler connaît dès son enfance une vie difficile. Il est âgé de quatre ans lorsque sa mère quitte le milieu familial pour suivre un vendeur de jouets à Chicago, laissant son fils aux soins de sa grand-mère. Son attirance pour la musique se concrétise par son entrée au Conservatoire de Leipzig, en 1925, où il étudie notamment avec Gunther Ramin (1898-1956), célèbre organiste, spécialiste de Bach et directeur du Chœur de l’église Saint-Thomas. Ses grands-parents étant décédés, le jeune Distler doit subvenir à ses besoins. Grâce à Ramin, Il est engagé comme organiste à Lübeck de 1931 à 1937. Il se marie et collabore aux activités musicales de cette cité hanséatique où a vécu Buxtehude. Il y enseigne, puis à Stuttgart, avant de s’installer à Berlin en 1940. L’arrivée au pouvoir des nazis en 1933 l’a obligé, pour conserver son poste, à prendre la carte du parti. Mais ce chrétien convaincu est objecteur de conscience et il refuse l’ordre de mobilisation qui l’oblige à combattre. Pour y échapper, il se suicide, âgé de 34 ans, laissant un catalogue limité où dominent la musique chorale et des pages de musique de chambre. 

La carte du parti ne permet pas à Distler d’éviter les foudres du pouvoir hitlérien, qui va finir par considérer sa musique comme de « l’art dégénéré ». Lorsqu’il compose Die Weihnachtsgeschichte pour voix seules en 1933, il se réfère au langage protestant et à la musique du XVIIe siècle, en particulier à Heinrich Schütz, dont il admire la Passion selon Saint Matthieu, jouée chaque année à Lübeck. Il va se créer un style personnel à partir de celui du principal représentant du premier style baroque allemand. La notice précise que Distler décrivait sa partition comme « un oratorio de caractère chambriste ». Mais le climat trop chrétien de l’œuvre irrite les nazis, qui vont violemment perturber en 1936 une représentation qu’ils vivent comme une provocation en raison de son introduction : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière. » Distler ne vivra plus de façon apaisée après cet événement, la guerre, ses massacres et ses destructions venant perturber et déprimer le pacifiste qu’il est.

Construite selon un schéma d’alternance entre un chœur mixte traité en polyphonie et des interventions de six solistes, Die Weihnachtsgeschichte se déroule dans une atmosphère baignée de douceur, de tendresse et de vénération. Sur la base de textes de Saint-Luc et de Saint Matthieu, la narration, au sein de laquelle on retrouve l’Ange, Elisabeth, la Vierge Marie, Siméon et le roi Hérode, est menée par un Évangéliste, rôle majoritaire dévolu à un ténor, qui énonce l’histoire de Noël bien connue de façon psalmodique. L’ambiance générale est éthérée, profondément religieuse, et apporte un sentiment de paix généreuse. De façon récurrente, Distler utilise des échos d’un chant traditionnel du XVIe siècle, Es ist ein Ros entsprungen, en variant les couleurs harmoniques. Un bel équilibre surgit entre le récit du soliste principal, les solos occasionnels, et le chœur, à quatre ou huit voix. On sort de l’audition avec une réelle sensation de sérénité intérieure. 

Le présent enregistrement est une aventure danoise. Le ténor Adam Riis (°1978), l’Évangéliste de cette fervente magie de Noël, est un habitué du répertoire baroque, de Schütz précisément (dont il a gravé pour Danacord la Weihnachts-Historie), de Buxtehude, Bach ou Haendel, mais aussi de Monteverdi. Ce qui ne l’empêche pas d’honorer Mozart, Schumann, Britten, son compatriote Nielsen ou des créateurs contemporains. Sa prestation, toute en finesse, participe beaucoup à la réussite de ce contexte sacré. Le groupe vocal Concert Clemens a été fondé en 1997 par le Danois Carsten Seyer-Hansen (°1971), son chef et responsable artistique. Etabli à Aarhus, agglomération portuaire de 300 000 habitants dans la région du Jutland, très active sur le plan culturel, il se compose d’une petite vingtaine de chanteurs, qui sont utilisés comme solistes ou choristes. Son répertoire va de Bach aux musiciens de notre temps, ce dont témoignent plusieurs disques, notamment pour Danacord ou Orchid Classics. C’est à ce groupe vocal qu’appartiennent les cinq jolies voix qui émergent de temps à autre comme solistes, à savoir Johanne Farup (l’Ange), Ida Cecilie Holm (Elisabeth), Beke Pfann (la Vierge Marie), Niels Peder Skaarup Gejel (le roi Hérode) et Søren Tjagvad (Siméon). 

Il existe d’autres versions de cette page de Distler. En 1990, le Thomanerchor Leipzig, sous la direction de Hans-Joachim Rotzsch, s’en emparait (réédition Brilliant, 2013), avant le Kammerchor der Hochschule der Kunsten Berlin que menait Christian Grube (Thorofon, 1999). Klaus-Martin Bresgott l’a gravée de façon lumineuse (Carus, 2015), avec l’Athesinus Consort Berlin qui bénéficiait de la présence de Thomas Volle en qualité d’Évangéliste. Le présent enregistrement, réalisé en l’église Saint-Martin d’Aarhus, est de même essence, claire, limpide et chaleureuse. Même si l’œuvre se suffit à elle-même, on peut émettre un petit regret : le court minutage (quarante minutes) aurait permis une connaissance plus approfondie du compositeur, par exemple par l’ajout de l’une ou l’autre pièce chorale. 

Son : 9  Notice : 8  Répertoire : 8,5  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

Chronique réalisée sur la base de l’édition SACD

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