Iris Scialom et Antonin Bonnet, en arborescence 

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La violoniste Iris Scialom et le pianiste Antoine Bonnet font paraître un album (Scala Music) titré Arborescence et qui repose un parcours musical au fil de partitions de Fauré, Ravel et Enesco. Crescendo Magazine est heureux de s’entretenir avec ces deux jeunes musiciens de grands talents.   

Votre album propose des œuvres de Fauré, Ravel et Enesco et il porte le titre d'Arborescence. En quoi ce parcours musical est-il une “arborescence” ?

Nous voyons ce programme comme une arborescence au sens propre : un réseau vivant de racines et de ramifications. Fauré en serait le tronc, le point d’ancrage, et Ravel et Enesco, deux branches issues de cette même source, chacun développant son langage propre à partir d’un même enseignement. Ce lien de filiation, mais aussi de liberté, nous a beaucoup inspirés.

Pour ce premier album, le choix des œuvres est aussi difficile que déterminant, surtout au regard de l'immensité du répertoire. Comment avez-vous porté votre choix sur ces trois partitions françaises et non sur des œuvres allemandes, anglaises ou autres ?

Nous avions envie d’un programme qui raconte une histoire, à la fois humaine et musicale. La fin du XIXᵉ siècle français est une période fascinante : alors que l’opéra domine encore la scène, certains compositeurs — dont Fauré — cherchent à réinventer la musique de chambre. Il y a chez eux une volonté de se détacher du modèle germanique sans pour autant le rejeter, de trouver une voie singulière, plus libre, plus intimiste.

Les trois sonates que nous avons choisies s’inscrivent pleinement dans cette démarche. Elles sont toutes liées par le cadre de la classe de Fauré, mais elles diffèrent profondément par leur écriture et leur tempérament. C’était une manière pour nous de tisser un récit cohérent, où chaque œuvre éclaire les deux autres.

De Ravel, vous jouez la rare Sonate posthume et non la célèbre Sonate pour violon et piano. Pourquoi ce choix inaccoutumé ?

Cette Sonate posthume est une œuvre de jeunesse, composée en 1897, alors que Ravel est encore élève de Fauré. Elle est courte, mais déjà pleine de promesses.

Nous avons été touchés par sa fraîcheur, sa transparence, et par la manière dont elle révèle les premières explorations sonores de Ravel : les jeux de timbres, les harmonies audacieuses, la recherche de textures nouvelles.

Le fait qu’elle ait probablement été créée dans la classe de Fauré, avec Ravel au piano et Enesco au violon, nous a semblé d’une grande beauté symbolique. C’est le point de rencontre parfait entre nos trois compositeurs.

J’ai l’impression que, malgré son importance, la musique d’Enesco n’occupe pas la place qu’elle mérite. Partagez-vous ce sentiment ? Pensez-vous que sa musique pourrait s’imposer davantage à l’avenir ?

Oui, tout à fait. Enesco reste encore trop peu joué, malgré la puissance et l’originalité de son œuvre.

Sa Sonate n°2 pour violon et piano est d’une richesse incroyable : elle unit l’héritage de Fauré à la ferveur du folklore roumain dans un langage profondément personnel. C’est une musique d’une intensité rare, à la fois intellectuelle, instinctive, et émotive.

Nous pensons que cette œuvre — et plus largement l’univers d’Enesco — mérite de figurer beaucoup plus souvent au répertoire. Elle parle à notre époque, parce qu’elle transcende les frontières esthétiques et culturelles.

Dans le booklet, vous remerciez plusieurs personnes pour leurs conseils sur la Sonate d’Enesco. Est-il important pour de jeunes artistes de pouvoir compter sur ce type de guidance ?

Oui, cela nous semble fondamental. Travailler une œuvre comme la Sonate d’Enesco, c’est plonger dans une matière dense, pleine de contrastes et de sens cachés. Pouvoir échanger avec des musiciens experts de cet univers, bénéficier de leurs regards, de leur expérience, c’est une chance inestimable.

Ces dialogues nourrissent notre interprétation, mais aussi notre réflexion sur la tradition et la transmission. D’une certaine façon, ils prolongent l’esprit de filiation qui traverse tout ce projet : celui d’une connaissance transmise, transformée, vivante. 

Dans le booklet encore, il est mentionné l’importance de l’Académie musicale de Villecroze dans votre parcours et dans l'enregistrement de ce disque. Pouvez-vous nous en parler ?

L’Académie Musicale de Villecroze a joué un rôle essentiel dans la genèse de cet album. Nous avons découvert ce havre de paix lors de Masterclasses et avons eu la chance d'y revenir de nombreuses fois, notamment pour enregistrer le teaser de cet album. C'est un lieu où l'on peut s'extraire du bruit du monde pour se recentrer sur la musique, expérimenter, et tenter de s'approcher de notre idéal. Toute l'équipe est d'une gentillesse et d'une générosité extraordinaire. Le précieux soutien de l'Académie a rendu possible l’enregistrement de ce disque, mais au-delà de l’aide matérielle, c’est une expérience humaine et des rencontres qui nous ont profondément marqués et inspirés. 

Est-ce que vous avez déjà un second album en réflexion ?

Nous y pensons bien sûr. Mais pour l'instant nous souhaitons avant rencontrer le public et partager Arborescence. Ce premier disque nous a permis de réfléchir à notre identité de duo, à ce que nous voulons raconter ensemble.

A écouter :

Arborescence. Oeuvres de Gabriel Fauré, Maurice Ravel et George Enesco. Iris Scialom, violon et Antoine Bonnet , piano. Scala Music.

Crédits photographiques : ©️Kit Balakun Prod

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

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