Le Bolshoï, suite... le danseur-étoile Nikolaï Tsiskaridze licencié
Nikolaï Tsiskaridze, l'un des artistes les plus connus du ballet russe, en conflit avec l'administration du théâtre dont il critiquait haut et fort la gestion et briguait lui-même le poste de direction, s'est vu refuser la prolongation de son contrat à la fin de ce mois, quelques mois après l'agression au vitriol de son directeur artistique, Sergeï Filine (voir notre Journal). Il fait partie de la compagnie depuis 1992 et y est également professeur, contrat qui n'est pas renouvelé non plus. "Persécution" a seulement commenté Nikolai Tsiskaridze.
Depuis le 17 janvier 2013, jour de l'agression au vitriol de l'ancien directeur artistique du Bolchoï, Sergeï Filine, une épée de Damoclès était suspendue au-dessus de la tête de Tsiskaridze: le directeur du théâtre, Anatoli Iksanov, l'avait alors ouvertement accusé d'être l'instigateur de l' agression qui, après dix-huit opérations, laisse la victime aveugle selon une déclaration ce lundi de son avocate, Me Stoukalina, au quotidien russe.
Celui que l'on surnomme "l'Ange noir du Bolchoï" a été à plusieurs reprises en conflit avec la direction et il critiquait les travaux de restauration herculéens entrepris dans le théâtre avec l'aide du gouvernement. A l'égard de la victime, Sergeï Filine, il tenait des propos très violents. En novembre dernier, au moment du renouvellement du contrat du directeur artistique, Tsiskaridze avait fait parvenir à Poutine une pétition proposant sa candidature à la tête de la compagnie.
Si les accusations à l'encontre de Tsiskaridze ont été levées avec l'arrestation d'un autre membre de la troupe, Pavel Dmitrichenko, le danseur-étoile avait néanmoins reçu deux blâmes de la part du Bolchoï. La raison ? Des interviews jugées diffamatoires à la BBC et à Izvestiya où il témoignait de la vie prétendument dissolue du Bolchoï (notamment de ses danseuses) et des rivalités politiques qui règnent dans les coulisses. Le 12 avril, l'accusé se défendait et portait plainte contre le Théâtre au Tribunal de la région de Tver, pour atteinte à la liberté d'opinion et d'expression. Une nouvelle audience doit avoir lieu le 2 juillet prochain.
Selon la loi, un troisième blâme aurait suffi à licencier ce danseur-étoile qui est dans son pays une star médiatique. Dans les faits, il n'a même pas fallu attendre que le danseur à la langue trop bien pendue fasse une nouvelle saillie publique, ni même la sentence du juge, pour le congédier.
Le caractère bien trempé de Nicolaï Tsiskaridze ne lui enlève pas son mérite aux yeux de ses admirateurs. Son licenciement trois jours après une interprétation très remarquée de Giselle suscite l'indignation de la blogosphère russe et des autres membres de la troupe. Anastasia Volochkova, danseuse experte en scandales congédiée du Bolchoï il y a quelques années, s'est exprimée à l'antenne de l' Echo de Moscou: «C'est une véritable chasse à l'homme. Personne ne pourra le remplacer dans la compagnie. Nikolaï est quelqu'un de courageux et d'honnête.» Une manifestation de soutien à «l'ange noir» est prévue à Moscou le 15 juin, les organisateurs demandant la réhabilitation immédiate du danseur au sein de la troupe.
Le mystère sur ce que l'on appelle désormais l'affaire du Bolchoï n'est pas totalement éclairci. Le bien-fondé de l'arrestation du danseur Pavel Dmitrichenko, accusé d'être le véritable commanditaire de l'agression de Filine, est aujourd'hui remis en question par certains membres de la troupe. Solidaire de ces derniers, le Bolchoï a en effet adressé au gouvernement une demande de poursuite de l'enquête. Dans une pétition, 300 membres du théâtre dénoncent une atteinte aux droits de l'Homme: les aveux auraient été arrachés à Dmitrichenko après 18 heures d'interrogatoire. «Nous tous qui connaissons Pavel personnellement depuis des années (...), nous sommes absolument sûrs que ses divergences avec Filine quant à la direction et la politique artistique du théâtre n'ont pas pu le conduire à des agissements criminels», lit-on dans la pétition qui circule aujourd'hui dans le théâtre. Même Tsiskaridze en personne a soutenu le suspect, s'avouant choqué et soutenant qu'«aucun danseur ne croit à son implication». Tous veulent croire à ce proverbe russe: «La loi est comme un guidon: elle va là où tu le tournes.»