Korneel Bernolet, seul à seul avec son Dulcken de 1747 : dialogue privilégié

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Grand Tour. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Concerto de Judas Maccabaeus HWV 305a/b. Antoine & Jean-Baptiste Forqueray (1671-1745 / 1699-1782) : Première Suite de Pièces de Viole, mises en Pièces de Clavecin. Josse Boutmy (1697-1779) : Troisième et Cinquième Suites de Pièces de clavecin. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Ricercar a 3 de Das Musikalische Opfer, BWV 1079. 

Domenico Scarlatti (1685-1757) : Sonates en fa mineur K. 238-239. Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : La Dauphine. Korneel Bernolet, clavecin. Octobre 2020. Livret en anglais, allemand et français. TT 80’12. Ramée RAM2009

À toute chose malheur est bon, dit l’adage. L’éprouvant contexte sanitaire soulève aussi des opportunités. En octobre 2020, Korneel Bernolet profita du confinement pour s’enfermer trois nuits durant dans le Musée Vleeshuis au cœur d’Anvers, et pour y enregistrer ce « Grand Tour » dans des conditions de silence environnant habituellement inespérées. Aux commandes d’un clavecin Dulcken de 1747, un seul clavier registrable en 8’-8’-4’, caisse à double paroi qui contribue « à la stabilité et à la richesse sonore » nous dit le conservateur Timothy De Paepe dans le livret. Un trésor que Korneel Bernolet pratique depuis ses années d’apprentissage et auprès duquel il est admis en résidence depuis cinq ans. Une fête pour l’oreille, splendidement captée par les micros de Ramée !

La logique du programme, incluant pièces célèbres et rares, se dérobe à première vue, avant qu’on ne considère qu’il regroupe des œuvres écrites autour de la date de construction du Dulcken, « comme si un claveciniste flamand de l’époque mettait sur le pupitre de l’instrument anversois les premières publications internationales » selon les mots de l’interprète. Le voyage invite trois suprêmes compositeurs nés en 1685. Un Concerto en quatre parties, dérivé de l’oratorio Judas Maccabée de Haendel, amorce le récital avec pompe et éclat. Excellente idée que Timothy De Paepe, à qui l’album est dédié, attirât l’attention sur ce flamboyant morceau qui semblait inédit dans la discographie. Parmi les ultimes pages de Bach, le Dreistimmiges Ricercar de L’Offrande musicale illustre des vertus contrapuntiques que Korneel Bernolet structure avec netteté. Tirées de la dernière période scarlatienne, voici deux Sonates qu’il nous dit connaître depuis ses chères études, preuve que son anthologie relève aussi d’un personnel enjeu rétrospectif. On se rappellera que cette paire en fa mineur compte parmi les quelques opus du Napolitain que grava Gustav Leonhardt (Seon, septembre 1978), d’ailleurs sur une copie de Dulcken par Martin Skowroneck : en comparaison de cette insigne référence, la présente lecture ne pâlit pas et la surclasse même par sa flamme et sa projection.

La Suite des Forqueray renvoie d’ailleurs à d’autres souvenirs de l’artiste, qui se la révéla sur le fameux Jean-Henri Hemsch de 1751. Les six pièces du cahier en ré mineur constituent peut-être le sommet du disque par la lecture très caractérisée qu’on nous en sert, d’une précision et d’une articulation remarquables, intensifiant le juste portrait de chacune. L’occasion aussi d’admirer l’intelligibilité du spectre grave de ce clavecin dont la clarté radiographie les sombres humeurs de ces pages. La Bellmont s’avère magistrale à cet égard. La Dauphine de Rameau referme dans un geste ébouriffé le versant français de ce florilège, là où l’on aurait pu aussi songer au répertoire de Jacques Duphly (1744 & 1748) ou au Premier Livre de Pancrace Royer (1746).

Le parcours consacre toutefois une large part au Bruxellois Josse Boutmy dont la Cinquième Suite reflète le langage musical à la Cour de Louis XV. La Troisième se situe sous une influence plus italienne et se conclut par un piaillant Tambourin que Korneel Bernolet fait pépier avec une verve irrésistible. Globalement, pendant cette heure vingt, le projet se défend avec ardeur et une admirable technique, tant pour l’ornementation que la conduite rythmique, serrée à bloc au seul risque de parfois manquer d’un certain degré d’abandon pour les étapes qui méritassent un surcroit de sensibilité (la Ceciliana de Boutmy par exemple). En tout cas, la virtuosité, la conviction, et les aristocratiques couleurs de ce clavecin à nerfs d’acier emportent l’auditeur dans un captivant panorama, en connivence avec qui le joue. « C’est un enregistrement que je voulais réaliser depuis longtemps : une carte de visite du célèbre clavecin Dulcken dont je suis l’heureux gardien » concluent les lignes de Korneel Bernolet. On salue comme tel ce CD d’apparat : tout de brio et fortement recommandé.

Son : 9,5 – Livret : 9 – Répertoire : 8-10 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

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