La révélation moderne du dernier grand chef-d'oeuvre achevé de Mozart

par
La Clémence de Titus

Wolfgang Amadeus MOZART
(1756 - 1791)
La Clemenza di Tito
Kurt STREIT (Tito), Karina GAUVIN (Vitellia), Julie FUCHS (Servilia), Kate LINDSEY (Sesto), Julie BOULIANNE (Annio), Robert GLEADOW (Publio), Ensemble AEDES, dir.: Mathieu Romano, Le Cercle de l'Harmonie, dir.: Jérémie RHORER
2017-DDD-63' et 69'-Textes de présentation en français, anglais et allemand-Alpha 270 (2 cd)

Le mystère, inventé ou réel, qui entoure depuis toujours la composition du Requiem de Mozart a toujours rejeté dans l'ombre ce qui reste le dernier grand chef-d'oeuvre achevé du maître salzbourgeois. On ne s'explique pas vraiment le désaveu, persistant, qui entoure cette merveille de l'art lyrique où jamais, peut-être, Mozart n'a autant mis son génie à exprimer toute la palette des sentiments humains. Bien sûr, on s'étonnera toujours de ce qui l'aura poussé à s'intéresser à un style (l'opera seria) et à un librettiste (Metastasio, remanié par Mazzola) plutôt passés de mode à l'époque. Mais cet apparent retour vers le passé ne doit pas nous faire oublier le principal: à notre sens, non seulement il rejoint la perfection des grands « tubes » que sont les trois ouvrages sur les livrets de son ami Da Ponte mais il apporte encore un surcroît de vérité et de subtilité dans l'émotion qu'il donne à ses personnages, faits de plus de chair et de sang que jamais. La discographie a toujours reflété la désaffection de ce monument encore largement mal compris. Alors que nous croulons sous les références de Don Giovanni ou de Le nozze di Figaro, une seule version jusqu'ici, déjà ancienne, s'imposait réellement pour La Clemenza di Tito: celle de Istvan Kertesz en 1967. Bien sûr, d'autres, parfois dans des productions confidentielles, se sont essayés à l'exercice, avec un succès certain: Joseph Keilberth, Karl Böhm, Colin Davis, Alexander Gibson, John Pritchard, Sylvain Cambreling (et la splendide Christiane Eda-Pierre dans la superbe production de La Monnaie en 1982, à rééditer d'urgence), Riccardo Muti, Nikolaus Harnoncourt, John Eliot Gardiner, Christopher Hogwood, René Jacobs, Charles Marckerras et, tout récemment, Alessandro De Marchi (CPO). Mais on attendait toujours un éblouissement. Jérémie Rohrer nous le procure-t-il? Dès l'ouverture, on serait tenté de répondre par l'affirmative. Les maîtres mots, dans cette parution, sont le naturel, le naturel et encore le naturel, ce qui se traduit par des phrasés désarmants d'évidence. Et la vie! Et l'urgence! La devise du chef français pourrait bien être « hic et nunc ». Il en résulte une musique qui semble s'écouler comme un large fleuve au cours rapide, qui nous transporte avec feu et harmonie de loin en loin et aborde aux rivages toujours renouvelés de l'âme. Une très grande réussite, grâce aussi à des musiciens et des chanteurs qui oeuvrent avec un véritable esprit de troupe, comme un seul grand corps porté par une commune passion. Les voix s'accordent fort bien entre elles; elles sont légères, sans affectation. Si la Vitellia de Karina Gauvin est remarquable et se hisse au niveau des grandes incarnations du personnage, on ne pourra également que s'incliner devant la chaleur de Julie Fuchs et Kate Lindsey qui tiennent les rôles respectifs de Servilia et de Sesto. Le Titus de Kurt Streit s'étrangle par moments mais possède le profil psychologique exact du rôle. L'orchestre « baroque » apporte un soutien idéal, attentif et extraordinairement vivant. Enfin, les récitatifs sont accompagnés au pianoforte, ce qui ajoute beaucoup de fraîcheur à ces pages que l'on a si souvent trouvées longuettes. Ici, elles suscitent autant l'intérêt que les sublimes airs qui fourmillent dans cette partition qui, décidément, n'en finit pas de nous surprendre et de nous émerveiller.
Bernard Postiau

Son 9 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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