Le Trio Pantoum au Manoir d'Ango : public subjugué, à très juste titre !

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Pour sa cinquième édition, le festival « Concerts-Passion au Manoir d’Ango » se déroulait sur cinq soirée consécutives, avec comme thème : « Piano mon amour ». Avant le Trio Pantoum, il y avait eu « Piano Tango » (un duo avec bandonéon), puis « Piano Concertant » (les quintettes avec vents de Mozart et Beethoven). Après le Trio Pantoum, il y aura « Piano Roi » (un récital Chopin), et enfin « Piano Folia » (six pianistes sur deux pianos). Le titre de notre concert, c’était « Piano Partenaire ». Avec, donc, le Trio Pantoum.

Formé en 2016, cette jeune formation s’est révélée au public en 2023, avec plusieurs Premiers Prix dans de prestigieux concours internationaux. En 2025 est paru leur premier enregistrement (Modern Times : Ravel, Arensky & Srnka), salué avec beaucoup d’enthousiasme par la presse spécialisée.

Ils le disent eux-mêmes : « Le Trio Pantoum revendique une approche de travail proche de celle du quatuor à cordes : exigence absolue dans la construction de l’œuvre, souci extrême du détail, et quête permanente de la cohésion. » Et, de fait, le résultat est admirable : variété de jeu (que ce soit dans les couleurs, les équilibres, les attaques, le vibrato), homogénéité incomparable, contrastes sonores (des piano les plus ténus, mais toujours incarnés, aux forte les plus puissants, mais toujours sans dureté). Par ailleurs, leur conscience harmonique extrêmement aboutie, alliée à leur liberté rythmique de chaque instant (un rubato collectif parfaitement maîtrisé, par exemple), nous emmène dans des paysages sans cesse changeants. Notre plaisir d’auditeurs est renforcé par leur prise en compte de la résonnance, à la fois des instruments et de l’acoustique. Les trois musiciens sont reliés entre eux par des ondes sonores presque visibles !

Deux œuvres étaient au programme. Pour commencer, le Trio en la majeur, Hob.XV:18 de Joseph Haydn (le 32e sur les 45 composés par celui qui a, véritablement, donné sa forme moderne à cette formation). L’Allegro est pétillant à souhait. Dans l’Andante, ils assument un jeu fragile (qui reste malgré tout toujours sans défaut technique). Ils enchaînent le finale, et ses accents tziganes, lui donnant une irrésistible énergie communicative, sans appuyer le côté exotique. Tout cela est épatant.

Le violoniste, Hugo Meder, prend alors la parole, pour présenter le programme, dans une intervention pleine d’intelligence (à l’image de leur jeu), qui nous montre à quel point, au-delà de leur spontanéité, ils ont conscience de la richesse des œuvres qu’ils jouent.

Vient alors le chef-d'œuvre absolu qu’est le Trio en mi bémol majeur, D.929, de Franz Schubert. Oserons-nous dire qu’il est le plus beau trio de tous les temps ? Oui ! Le Trio Pantoum donne le départ de l’Allegro de façon peu habituelle, comme un symbole de leur osmose recherchée (et trouvée) : ce n’est pas seulement le violoniste, ou le violoncelliste, qui donne le départ avec son archet, mais les deux en même temps. Pendant tout ce long mouvement, ils rendent magnifiquement l’ambivalence douleur/joie tellement caractéristique de Schubert. Ils jouent l’Andante (si célèbre, grâce au film Barry Lyndon) sans pathos, avec le thème aussi présent au piano qu’au violoncelle. Les contrastes dynamiques, qu’ils soient subits ou progressifs, sont magistralement construits. Leur Scherzando est merveilleusement délicat, « viennois » sans mièvrerie. Ils en font bien davantage qu’un simple mouvement de détente, avec notamment un Trio central joué avec un sens du drame digne d’une scène d’opéra. Là encore, ils attaquent le finale, dans lequel ils alternent élégance la plus raffinée et vigueur la plus débridée. La lisibilité des notes répétées au piano est infaillible. Tout cela est magistral.

D’autant que le Trio Pantoum a fait le choix de s’inspirer de la première version de ce finale. En effet, Schubert, cédant aux pressions de son éditeur, a réduit ce mouvement de près d’un tiers de sa durée, supprimant la reprise et deux passages du développement. Or, dans l’un d’eux, Schubert combine le thème du second mouvement avec le deuxième thème de ce finale, et l’effet est absolument prodigieux. Malheureusement, très peu d’interprètes rétablissent ces deux passages. Si le Trio Pantoum ne joue en effet pas la reprise, il n’observe pas les coupures de la version éditée, pour notre plus grand plaisir.

Schubert n’a voulu dédier cet ouvrage à personne en particulier : « Cet ouvrage ne sera dédié à personne en dehors de ceux qui y prendront plaisir. C’est la dédicace la plus profitable. » De fait, le plus émouvant du génie de Schubert est probablement là : en sa faculté à s’adresser à chacun de nous, au plus profond. Nul doute que, ce soir, chaque auditeur aura pris du plaisir avec cette interprétation tellement accomplie.

C’est au tour du pianiste, Kojiro Okada, de prendre la parole, pour parler, avec humour et humilité, de leur CD. En bis, ils jouent le mouvement du Trio de Maurice Ravel qui leur a inspiré leur nom : le Pantoum (une forme poétique d’origine malaise). En quatre minutes, tout l’univers, tellement riche, de ce compositeur.

Il a été aussi éloquent que ses partenaires avec son instrument, mais n’a pas parlé. C’est donc le moment de citer, également, le violoncelliste : Bo-Geun Park.

Un grand merci à ce festival et sa directrice artistique, Roberte Mamou, d’avoir invité cette jeune formation qui, n’en doutons pas, est d’avenir. Et un grand merci aux propriétaires du Manoir d’Ango de mettre à disposition cette splendide demeure Renaissance, en pleine campagne normande : un lieu idéal pour de tels partages artistiques.

Varengeville, Manoir d’Ango, 15 août 2025

Crédits photographiques : Gregory Massat

Pierre Carrive

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