Les cinq sonates pour piano de Hans Winterberg ressuscitées par Jonathan Powell

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Hans Winterberg (1901-1991) : Sonates pour piano. Jonathan Powell,  piano. 2025. Textes de présentation en allemand et anglais. 79’36’’. EDA 54

C’est grâce aux efforts de la fondation allemande Funk Stiftung et du pianiste britannique Jonathan Powell (qui a également préparé l’édition de la Cinquième sonate publiée chez Boosey & Hawkes, les autres n’étant apparemment pas encore éditées) que nous pouvons entendre pour la première fois au disque l’intégrale des sonates pour piano de Hans Winterberg, même s’il convient de préciser que les deux premières ont déjà été enregistrées par Brigitte Helbig, réparties sur deux albums parus chez Toccata Classics en 2019 et 2022 et reprenant diverses oeuvres pour piano de l’auteur.

Le moins qu’on puisse dire est que l’histoire de Hans Winterberg (1901–1991) sort résolument de l’ordinaire. Né dans une famille juive praguoise, il étudia d’abord à l’Académie allemande de sa ville natale où il fut l’élève de Zemlinsky pour la direction d’orchestre et au Conservatoire tchèque où il eut pour professeur de composition Alois Hába (qui compta également parmi ses élèves  Viktor Ullmann, Gideon Klein, ou encore Pavel Haas). Comme ces trois derniers, Winterberg fut interné au ghetto de Theresienstadt, mais il eut la chance de ne pas être déporté ensuite vers Auschwitz dont ses trois jeunes collègues ne revinrent hélas pas. Libéré le 8 mai 1945, il retourna à Prague où il poursuivit son activité de compositeur. Il parvint ensuite à quitter la Tchécoslovaquie pour l’Allemagne légalement, le pouvoir en place l’autorisant à récupérer les manuscrits expédiés au départ de Theresienstadt vers l’étranger pour y être mis en sûreté.  Une fois parti pour l’Allemagne, Winterberg y resta. Il travailla au service musical de la Radio  bavaroise ainsi que comme enseignant au Conservatoire Richard Strauss de cette même ville.  Il s’établit ensuite à Bad Tölz pour se consacrer exclusivement à la composition. 

S’il écrivit beaucoup au cours de sa longue vie, on ne peut pas dire qu’il remporta plus qu’un succès d’estime auprès du public comme des programmateurs de concerts, les exécutions de ses oeuvres semblant s’être limitées à des concerts principalement donnés par la Philharmonie de Munich et captés par la Radio bavaroise.  (A titre de comparaison, il suffit de voir la réelle popularité dont jouissaient à cette époque ses contemporains Wolfgang Fortner ou Werner Egk pour s’en convaincre.) Qui plus est, ses archives musicales furent transmises au Sudetendeutschen Musikinstitut (Institut pour la musique des Allemands des Sudètes) à Ratisbonne et ne devaient pas être rendues publiques avant 2031, mais l’engagement de son petit-fils permit  leur diffusion à partir de 2015. L’éditeur Boosey & Hawkes a depuis entamé la publication de plusieurs pièces de musique de chambre du compositeur par le biais de sa filiale allemande Bote & Bock. Ce fait n’est curieusement pas mentionné dans le livret qui accompagne le présent cd et qui comporte une présentation très fouillée de la vie et de l'œuvre de Winterberg due à Frank Harders-Wuthenow. On y trouve l’intéressante indication qu’aucune de ces cinq sonates pour piano ne fut jouée en public après que le compositeur se fût établi en Allemagne. Suit une défense passionnée de ces œuvres par Jonathan Powell où ce dernier va jusqu’à affirmer que ces compositions méritent d’être vues comme un cycle à écouter d’une seule traite, comme les cinq dernières sonates de Scriabine ou -excusez du peu- de Beethoven. 

Après avoir découvert cette biographie hors du commun, on passe à l’écoute en entretenant l'espoir d’une intéressante redécouverte, voire d’une révélation. 

Disons que ce n’est pas tout à fait le cas. Bien sûr, Winterberg avait un sérieux métier et savait très bien ce qui se faisait à son époque, comme on s’en rend compte dès la Première sonate   (1936). On reconnaît directement le style expressionniste et fortement rythmique de Hindemith dans l’Agitato initial qui offre aussi  des moments d’introspection. L’Adagio central est une marche sombre entrecoupée d’épisodes plus délicats dans l’aigu. Le Molto vivace final débute sur fluidité à la fois debussyste et atonale avant de conclure sur une intense et virtuose toccata. La Deuxième sonate (1941) s’ouvre à nouveau sur un Agitato musclé, avant que l’Andante sostenuto ne tende vers une sérénité dont on sent bien qu’elle est difficile à conquérir. Le Finale Molto vivace a très clairement retenu la leçon de la musique hyperactive de Hindemith, tout en se ménageant -comme dans la Première sonate- quelques moments de détente avant de terminer sur une toccata pleine de punch. Commencée par un Molto vivace assez bartokien avec son ostinato martelé à la main gauche,  la Troisième (1947) passe ensuite à un Molto adagio d’abord serein, qui évoque un peu Janáček, avant de se terminer avec véhémence. Le finale, Vivace, fait d’abord entendre une petite marche ironique puis passe à une espèce de cake-walk pince-sans-rire que n’aurait pas renié Satie. La Quatrième sonate (1948) est une œuvre de vastes dimensions en quatre mouvements d'une durée de 22 minutes. L’Allegro con moto initial est plein de véhémence et ne ménage que peu de plages de repos. Le mouvement lent Verhalten, ruhig, est par contre d’une belle sérénité : simple, dépouillé, transparent, diatonique. Les deux derniers mouvements débordent d’activité avant que l'œuvre ne se termine sur une note de quiétude. La Cinquième sonate (1950) s’ouvre sur un Ruhig fliessend où Winterberg s’épanche davantage, dans une écriture plus personnelle et lyrique où l’on perçoit des échos de Debussy, Hindemith, voire Busoni. Le bref Langsam qui suit est une douce ballade au parfum de jazz. Le scherzo Lebhaft, nicht zu schnell, est une  chasse en accords denses. La Sonate se termine sur un Allegro molto moderato d’une belle solidité à la Hindemith. 

Sur la foi des œuvres présentées ici, nous découvrons  un compositeur qui pour ne pas être de premier plan mérite à tout le moins une écoute attentive pour son honnêteté et son refus de toute facilité. Pour ce qui est de l’interprétation qui nous est proposée, il faut bien sûr féliciter Jonathan Powell d’avoir relevé le défi de cette redécouverte en faisant preuve d’un engagement de tous les instants. Si le le pianiste britannique possède les doigts infaillibles et la concentration de tous les instants qu’exigent ces partitions souvent techniquement ardues, on pourra néanmoins lui reprocher une sonorité qui trop souvent privée de ces couleurs qui ne manqueraient pas d’ajouter un supplément de vie à cette musique qui n’est pas toujours immédiatement séduisante. 

Son 9 - Livret 10 - Répertoire 7 - Interprétation 8

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