Les Concertos du Concours : le n°25, K. 503 de Mozart - Guide d'écoute

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Je ne sais plus qui disait que l’on appréciait toujours plus ce que l’on connaissait mieux…
C’est dans cette optique que nous allons passer en revue les concertos que nous entendrons au cours de cette « session piano » du Concours Reine Elisabeth.
Et nous commençons par les Concertos de Mozart que nous aurons l’occasion d’écouter à 24 reprises au cours des demi-finales, avec une nette préférence des candidats pour les Concertos K. 466 (choisi par 32 candidats sur 76) et K. 467 (choisi 20 fois) devant les K. 503 et 537. Ce sont les quatre concertos qui ont été sélectionnés par le Concours.
Des problèmes de droit nous empêchent bien sûr de proposer l’écoute entière des enregistrements de ces concertos. Nous en avons donc extrait les éléments qui illustrent le propos.
La rubrique a été testée par des personnes de différents niveaux de connaissances musicales pour s’assurer qu’elle est « accessible » pour le plus grand nombre.
Petit mode d’emploi.
Nous vous conseillons de commencer par lire l’article, écouter les extraits et lire éventuellement les extraits de partitions, mais ce n’est pas indispensable.
Ensuite, vous posez un enregistrement du concerto sur votre lecteur (ou vous cliquez sur l'intitulé du mouvement qui vous conduira sur YouTube) vous suivez l’écoute en re-lisant l’article. Pour que vous puissiez vous appuyer sur les repères courants, nous vous donnons les indications de minutage (écoute) et les n° des mesures (partitions), ainsi qu’une ligne du temps.
Vous n’y arrivez pas tout de suite ? Pas de souci, vous n’êtes pas une exception ! Vous reprenez l’exercice une fois, deux fois,… et vous appréhenderez toujours mieux ce que les jeunes pianistes vont vous proposer la semaine prochaine.
Bonne écoute !

Le Concerto n° 25, en Ut Majeur K. 503 de Wolfgang Amadeus Mozart

Le Concerto en Ut Majeur fut achevé le 4 décembre 1786. Depuis deux ans, Mozart ne s'était plus consacré ni à la symphonie, ni à la musique de chambre ni à l'opéra. Par contre, on voit poindre les Noces de Figaro et la Symphonie de Prague (n°38). Le concerto pour piano était devenu le genre préféré du compositeur ; il en composa pas moins de 12 en 33 mois. Avec le Concerto en ut mineur (K. 491), Mozart avait atteint le point culminant dans le genre. A propos de l'Ut Majeur qui le suit, Girdlestone parle de "Symphonie héroïque de Mozart", "un marbre de l'Attique aux lignes pures. Un géant qui a autant de coeur que de puissance. Olivier Messiaen parle de "Majesté souveraine [...] On songe malgré soi aux plus hautes architectures religieuses (sphinx d'Egypte, pyramides à escalier du Mexique, temples grecs, cathédrales romanes et gothiques".

Orchestre : 1 flûte, 2 hautbois, 2 bassons, 2 cors en Ut, 2 trompettes en Ut, 2 timbales (Ut et Sol), quatuor. Durée : +/- 31'.

Version d'écoute : Orchestre Mozart, dir.: Claudio Abbado, Martha Atgerich (piano) DG 4791033.

I. ALLEGRO MAESTOSO
Mozart donne le ton : allegro "majestueux". Ce premier mouvement sera la plus long de tous les concertos (425 mesures à 4 temps!).
On peut y distinguer six thèmes si l'on compte à juste titre le tutti d'introduction et le thème rythmique comme étant des thèmes.

Exposition

1. Tutti d'introduction
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Tutti d'Introduction - Ut Majeur. Un frontispice grandiose et héroïque. De brillants accords sur l'arpège du ton dans la nuance f par le tutti auquel les bassons et les hautbois apportent une douce réponse dans la nuance p. Reprise de cette entrée, mais cette fois, la réplique des bois se fait en mineur (env. 0'30'').
Tout de suite vient aux violons le thème rythmique, signature du mouvement dans un murmure essoufflé. Le jour se voile. Souvenir d'une âme qui a souffert ? (Girdlestone).

2. Thème rythmique (Mes. 18, env. 0'32")
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(Mes. 26, env. 0'46'') On revient à la Tonique Majeure avec une suite de gammes au départ de chacun de ses degrés aux violons tandis que les bois poursuivent le rythme. Echange: la partie des violons passe aux bois et inversement. Le rythme s'enrichit d'intervalles mélodiques grandissants, allant jusqu'à l'octave et puis, toujours sur ce rythme, les seconds violons entament une grande descente en un ruissellement de doubles croches, suivie par deux fois de quatre accords à la dominante pour amener le 1er Thème.

3. Thème 1 (Mes. 50, env. 1'29'')K.I_2

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Thème 1 - ut mineur A la tonique mineure.
Clé de voûte de tout le mouvement, il le parcourra tout entier et prendra toute sa valeur dans le développement où il dialoguera avec le soliste. Aussi ne sera-t-il pas repris dans la Réexposition.
Certains y voient une préfiguration de la Marseillaise.
Quoiqu'il en soit, le ton change; reste le thème rythmique sur lequel ce 1er thème est fondé.
(Mes. 58, env. 1'44'') Les hautbois et les bassons reprennent le Thème 1 en Majeur tandis que la flûte le contrepointe par des éléments qui font penser à la Flûte enchantée, et qui seront utilisés dans le Développement.
Aux violons, un petit avatar du Messie de Haendel et puis, un petit motif sinueux (Mes. 70, env. 2'05'') va doucement conduire ce prélude vers la première entrée du piano.

4. 1er Thème du piano (Mes. 91, env. 2'43'')
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En Ut Majeur. Comme dans le Concerto K. 467, l'orchestre va inviter le soliste à entrer. Il le fera à 3 reprises : de façon craintive, une réponse un peu plus hardie et puis, les cordes vont laisser le piano chercher seul sa voie; ce dernier s'enhardit de plus en plus et s'élance dans un jeu de gammes et d'octaves brisées que viendra interrompre le Tutti d'introduction (Mes. 112, env. 3'22'').
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Mais cette fois, le piano a trouvé sa place et c'est ensemble que l'orchestre et le tutti vont poursuivre, en étroite collaboration, s'échangeant les rôles, touchants par cet alliage de la masse et de la douceur : le piano va amplifier les confidences des vents et le rythme des cordes avec de somptueux contrechants pour affirmer ensuite son autonomie avec son 2e Thème

5. 2e Thème du piano (Mes. 147, env. 4'29'')
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Thème 2 du piano en Mi bémol Majeur, relatif Majeur de l'ut mineur dont il nous fait sortir, un thème harmonisé légèrement et qui se déploie avec aisance, sans oublier le rythme persistant et l'animation par de frémissants battements de seconde si chers au compositeur. (Mes. 160, env. 4'52'') Le thème se brise sur une longue gamme chromatique, soutenue discrètement par les vents et les cordes.

6. 2e Thème (Mes. 170, env. 5'09'')
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Exposé au piano, en Sol Majeur (Dominante). Un pur chef-d'oeuvre de naturel et de légèreté de l'harmonie.
(Mes. 182, env. 5'25'') Le thème est repris aux hautbois et aux bassons, à la flûte ensuite, sur martèlement de doubles croches au piano hésitant entre Majeur et mineur comme souvent dans ce mouvement.
Le piano continue seul en montées en 10e et octaves brisées aux deux mains avec, en soutient "le" rythme aux cordes. Par deux fois, la virtuosité est arrêtée dans sa course par deux mesures des bois et elle reprend ensuite pour s'éteindre en un long trille de trois mesures qui nous conduit au Développement

Développement (Mes. 214, Env. 6'29'')K.I_7

Sol Majeur. Entièrement fondé sur le 1er Thème. Pour la première fois, celui-ci sera chanté par le piano qui en fera son jouet, le faisant passer par diverses tonalités, le fragmentant, le passant à la flûte, le développant en un contrepoint à 8 voix (mes. 260, env. 7'58''), l'accompagnant de ses traits, avant de conclure, 50 mesures plus tard et ramener la Réexposition.

Réexposition (Mes. 290, env. 8'40'')
K.I_ReexpThème d'introduction Ut Majeur
Pas de reprise du 1er thème
2e Thème du piano Mi bémol Majeur
2e Thème Ut Majeur
Tutti
Cadence Ici, cadence de Friedrich Gulda
Coda, où domine toujours le thème rythmique.

II. ANDANTE
Ce mouvement lent est l'un des plus originaux de Mozart. On n'y entend pas de thèmes mélodiques vraiment caractérisés et ces derniers connaissent une rythmique très variée, comme d'ailleurs tout le mouvement où les bois et les cors prennent une grande et admirable place. Ce mouvement est également spécial quant à la forme. ABA ? Oui, mais A comporte trois thèmes : un à la tonique à l'orchestre, un à la dominante propre au piano et un autre à la dominante. On pense alors à une Forme Sonate. Mais le développement en est très court (14 mesures) et ne développe pas les thèmes de l'Exposition. Quant à la Réexposition, elle ne reprend pas le thème propre au piano. Nous opterons toutefois pour la Forme Sonate et considérerons le Développement comme une Transition.

Exposition
1. 1er Thème
K.503_II_1

K.503_II_1

On goûtera les interventions des cors, des hautbois, des bassons et de la flûte donnant dès l'abord une chaude couleur à l'ensemble du thème caractérisé par une grande diversité de formules rythmiques. Le thème n'est pas achevé que les cordes émettent en triples croches un bruissement que s'arrogera le piano dans la Réexposition.
Dans cette partie du premier thème, s'insère, au Tutti une phrase qui constituera la matière de la Coda (Mes. 19, env. 1'08'')K


(Mes. 22, 1'19'') Le Thème 1 est repris au piano, à la tonique toujours, et avant de reprendre la partie bruissante des cordes, (Mes. 35, env. 2'04'') le piano va insérer un petit thème chantant qui n'appartiendra qu'à lui, comme souvent chez Mozart.
K.503_II_Chantant

K.503_II_2

(Mes. 43, env. 2'32'') Partie bruissante des cordes au piano suivie du 2e Thème.

2e Thème
K.503_II_Th2
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Ici, encore un thème inhabituel basé sur de larges intervalles. Que veut exprimer Mozart ? Ces intervalles, modifiés et raccourcis seront repris aux bois sur une longue pédale de dominante aux cors et des banderoles de gammes et arpèges au piano.

Transition (Développement)  (Mes. 60, env. 2'35'')
Cette transition de 14 mesures va nous ramener dans le ton de Fa Majeur pour amener la Réexposition. Toujours sur la pédale des cors, elle va rappeler les grands intervalles suivis d'accords et de triolets sur une large étendue de tessiture au piano.

Réexposition (Mes. 74, env. 4'34'')
Thème 1 au piano sans l'insertion de sa partie propre chantante.
Thème 2 toujours au piano. Remarquons, à la fin de ce 2e thème, juste avant la Coda, les liaisons particulières entre les triples croches.

Coda
Basée sur
K

entendu dans l'Exposition.

III. FINALE, ALLEGRETTO
Mozart ne précise pas d'indication de tempo pour ce Finale mais il semble que c'est un Allegretto qui s'impose vu l'écriture rythmique de l'ensemble. On retrouver ici les trompettes et les timbales que l'on avait perdues dans l'Andante, mais elles n'interviendront qu'au début et à la fin du mouvement.
On retrouve à nouveau ici la forme de Rondo de Sonate avec son Refrain et ses Couplets et une découpe harmonique que l'on peut retrouver dans la Sonate avec son Exposition, son Développement et sa Réexposition.

Refrain
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Le Refrain est assez long et composé de 3 périodes : la première est une Gavotte reprise du Ballet d'Idoménée, le second est une petite marche et la troisième est une variation de la Gavotte modulée vers le mineur pour très vite revenir au Majeur et conclure par une petite ritournelle (comme dans le 1er mouvement, on retrouve la reprise plusieurs fois de suite d'un même motif, en Majeur et en mineur, un procédé que l'on retrouvera plus souvent chez Beethoven que chez Mozart).

1er COUPLET - Thème 1  (Mes. 34, 0'45'')K.503_III_2 K.503_III_2

Le piano entre dans la tonalité initiale et avec une belle virtuosité pour exprimer la multiplicité rythmique de la phrase et un rythme curieux (deux doubles croches-croche pointée), deux traits que l'on a déjà pu remarquer dans l'Andante. Il poursuite par une longue suite de triolets de doubles croches, figure rythmique qui dominera dans tout le partie de soliste du Rondo.

1er COUPLET - Thème 2 (Mes. 75, 1'43'')K.503_3

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(Mes. 75, env. 1'43'') La préparation du 2e thème du 1er Couplet est assez originale (Mozart a l'art de varier les entrées de thèmes du soliste) : une note unique, plusieurs fois répétée, avec des attaques différentes, suivie d'un groupe lié. Ce thème est à la dominante (en Sol). Il est repris par les vents tandis que le piano poursuit ses traits en triolets sur trois octaves de gammes et d'arpèges. Suit une Transition.

Transition (Mes. 92, env. 2'06'')
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En Sol Majeur. Sur 22 mesures, d'écriture grandiose, elle est entièrement assurée sur une pédale de dominante à la basse qu'ornent des gammes et des fragments d'arpèges, toujours en triolets, la partie orchestrale s'anime; un peu plus loin, trament un tissu coloré sur la galopade incessante du piano. qui nous ramène au Refrain.

Refrain (Mes. 115, env. 2'46'')
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2e COUPLET - Développement (Mes. 146, env. 3'29'')K.503_III_6 K.503_III_5

Enoncé par le piano suivi du Tutti pour nous mener, après trois accords vigoureux de l'orchestre, au 2e Couplet qui commence le Développement dans la tonalité inattendue ici de la mineur. Une des plus belles musique que l'on puisse entendre !
Ce 2e Couplet est formé de 3 Thèmes :
- un Thème martial en la mineur qui reprend au début le même rythme que le 1er Couplet et dans lequel on retrouve les grands écarts mélodiques de l'Andante,
- un Thème en Fa Majeur proche d'un récitatif de l'Orfeo de Gluck, beauté ineffable lorsqu'il sera repris par le hautbois.
- la 2e partie de ce Thème en Fa qui reprend sa carrure rythmique et qui, par le retour des triolets à l'accompagnement trahissent une certaine tension qui s'exprimera bientôt dans un contrepoint serré.
Ce Thème en Fa est un des chants les plus simples et les plus personnels de Mozart. "Derrière sa réserve, on sent l'expérience de l'homme mûr et non plus la poésie de l'adolescent" (Girdlestone). "C'est peut-être ainsi que la mélodie d'un ange avait transporté Saint François d'Assise dans des régions interdites à l'homme" (Messiaen).
Ce Thème entre à la flûte et au hautbois auxquels se joindra le basson, en dialogue avec le piano.

(Mes. 207, env. 4'53'') Grand moment de tension 

C'est à la mesure 207 (env. 4'53'') qu'est développé l'épisode annoncé par la tension grandissante. Le mineur a gagné la partie. On est en ut mineur. Toujours sur les arpèges du piano, le flûte reprend les 4 premières notes du Thème en Fa; le basson lui répond en canon à l'octave; la flûte entre dans la partie; l'intervalle s'agrandit jusqu'à l'octave supérieure sur une pédale des basses; les réponses se succèdent de plus près et le triple canon à l'octave est comprimé dans l'espace de deux mesures. L'orchestre se tait tandis que le piano poursuit par un long passage en sixtes brisées en triolets toujours, dissolvant peu à peu la passion pour retrouver l'atmosphère du Refrain, écourté ici, privé de sa petite marche. Dans tout ce passage avant les sixtes brisées du piano, le centre de gravité est passé du piano au tutti. Un passage illustrant magnifiquement l'union de la forme et de la pensée chez Mozart.

Refrain écourté (Mes. 235, env. 5'29'')
Après un tel passage émotionnel, le refrain est privé de sa petite marche allègre. Il poursuite ses cavalcades de triolets et revient un petit motif déjà entendu dans l'exposition mais qui prend ici toute sa signification émotionnelle


1er COUPLET
 - Thème 2 (Mes. 273, env. 6'23'')K.503_III_9

revient ici dans la tonalité de la Réexposition , en Ut Majeur.
Il est suivi du Refrain (Mes. 313, env. 7'14''), dans sa totalité où le piano, dans la troisième période le varie rythmiquement.

Pas de Cadence

Coda
C'est une longue Coda de 52 mesures qui clôture le Finale de ce "Grand Concerto", oeuvre de la pleine maturité du compositeur. On y trouvera, clin d'oeil et pirouette propres à Mozart, une vision complètement dédramatisée du thème médian du 2e Couplet. Et la Coda se terminera sur la fin du premier Tutti.

Bernadette Beyne

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