Les Musicales de Normandie au Musée Michel Ciry : 3 concerts, 3 époques, 3 univers

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Le festival Les Musicales de Normandie existe depuis 2006. Pour sa vingtième édition, il propose cinquante concerts, pendant tout l’été, dans une trentaine de lieux parmi les plus caractéristiques du patrimoine architectural des départements de Seine-Maritime et de l’Eure (ex-Haute-Normandie). Sa programmation frappe par sa diversité, « du récital au grand orchestre ». Par exemple, un récital solo le 25, et un orchestre le 26. Les 27, 28 et 30, nous étions dans l’entre-deux avec trois concerts de musique de chambre, dans des registres très différents toutefois, car la diversité de ce festival ne s’exprime pas seulement par les formations invitées, mais également par le contenu musical.

Quant au lieu, c’était le même pour ces trois soirées presque consécutives : le Musée Michel Ciry à Varengeville (76), du nom d’un peintre, graveur et dessinateur qui s’y est installé dans les années 1960, et qui a créé lui-même ce musée. Les concerts ont lieu dans une salle d’exposition, de sorte que les musiciens et le public sont, tout autour d’eux, en présence de nombreuses toiles de cet artiste qui n’avait pas que ces talents picturaux, puisqu’il était également écrivain et... compositeur ! Il avait été élève de Nadia Boulanger (tout comme Philip Glass, dont plusieurs pièces seront jouées lors du troisième concert). Dans la salle derrière celle où ont lieu les concerts, visible par une bonne partie du public, trône un piano à queue Gaveau de 1920 que ses parents avaient reçu en cadeau de mariage, et sur lequel il a composé la plupart de ses œuvres.

Des douleurs du XXe siècle, avec le Trio Hélios

Fondé en 2014 par le pianiste Alexis Gournel, la violoniste Camille Fonteneau (remplacée en 2023 par Eva Zavaro) et le violoncelliste Raphaël Jouan, le Trio Hélios est en passe de devenir un ensemble de référence dans le paysage musical français. Dans leur formation initiale, ils ont gravé deux CD, qui ont été accueillis avec beaucoup d’enthousiasme par la presse spécialisée.

Leur programme, d’une densité et d’une élévation exceptionnelles, reprenait en partie celui de leur premier CD, consacré à de la musique française, avec le Trio de Maurice Ravel et deux pièces de Lili Boulanger. Il se terminait avec le Trio N° 2 de Dmitri Chostakovitch (qu’ils n’ont, pour le coup, pas enregistré).

Leurs concerts sont toujours des moments privilégiés. Pour leurs qualités artistiques en premier lieu. Mais aussi par la présentation qu’ils font des œuvres qu’ils proposent. Cela permet au public de se centrer davantage sur la musique que sur les musiciens. C’est fort appréciable.

Pour le Trio de Ravel, c’est Alexis Gournel qui met l’accent sur ses influences tour à tour basques, malaisiennes et médiévales. Par rapport au CD, leur interprétation a gagné en maturité. Nous y sentons mieux l’angoisse, dans cette œuvre de 1913, de la guerre imminente. Il y a peut-être moins de fraîcheur, mais davantage de profondeur dans le Modéré. Le Pantoum est pétillant, sans doute, mais sans rien de superficiel ; on y sent aussi une certaine tension. Dans la Passacaille, le mélange entre un piano puissant mais détaché, et des cordes poignantes mais sans pathos, donnent une atmosphère véritablement bouleversante. Le Final surgit alors, aussi magique que le Lever du jour dans Daphnis et Chloé... mais cela ne dure pas : la suite est plus sombre, et le Trio Hélios y met toute sa science des palettes sonores.

Leur niveau technique force l’admiration. Une des difficultés de cette œuvre réside dans les unissons entre le violon et le violoncelle, qui nécessitent une homogénéité à tous points de vue. Elle est ici sans faille.

Suivaient deux pièces de Boulanger, considérées comme un diptyque bien que, semble-t-il, non conçues comme tel, mais qui en effet se répondent, comme les deux facettes, contrastées, d’un même thème : D’un soir triste et D’un matin de printemps. Avant de les jouer, Eva Zavaro décrit le contenu émotionnel de ces pièces écrites à la fin de la Première Guerre mondiale, alors que la compositrice vivant ses derniers instants et le savait. Presque contemporaines du Trio de Ravel, donc, elles ne paraissent certainement pas moins pâles, et nous pouvons imaginer quels chefs-d’œuvre Boulanger nous aurait donné si elle n’était pas morte juste après la composition de ces pièces, à l’âge de vingt-quatre ans. Soyons reconnaissant au Trio Hélios de la défendre avec autant de talent et d’engagement.

Après une courte pause, place au Trio N° 2 de Chostakovitch. Avec un humour qu’on ne retrouvera pas dans la musique, Raphaël Jouan en fait une présentation détaillée, extrêmement éclairante à la fois du point de vue musical et politique (avec ce compositeur et ses relations très complexes avec le régime soviétique, les deux sont toujours étroitement liés). La maîtrise par le Trio Hélios des nombreux changements d’humeur du premier mouvement est remarquable. Ils illustrent magistralement le sarcasme, tellement typique de ce compositeur, de l’Allegro con brio. Dans le Largo, nous sommes témoins de toute la douleur de ce monde de 1944 tellement angoissant. Quant à l’Allegretto final, irrésistible et terrible à la fois, ils en mettent en valeur toute la complexité, sans jamais tomber dans l’anecdote.

En bis, deux pièces plus légères, de compositeurs relativement peu connus : la nostalgique Élégie du Trio N° 1 d’Anton Arenski, et la viennoise Idylle (sous-titrée « Dans la soirée ») de Zdeněk Fibich. Nous pouvions repartir le cœur quelque peu allégé, en laissant derrière nous toute la désolation d’un programme sublime et magnifiquement défendu.

Camille Thomas et Julien Brocal, avec Chopin dans un salon du XIXe siècle

Depuis plus de sept ans, la violoncelliste Camille Thomas porte un projet musical autour de Frédéric Chopin, qui s’est concrétisé par l’enregistrement d’un coffret de trois CD intitulé « The Chopin Project » : sur le premier, des transcriptions pour violoncelle et piano de courtes pièces, par divers arrangeurs ; sur le deuxième, l'intégrale de la musique de chambre (puisqu’à l’exception d’essais non publiés toutes les œuvres de Chopin qui ne sont ni pour piano seul, ni pour piano et orchestre, ni pour chant et piano, sont pour – ou avec, dans le cas du Trio – violoncelle et piano) ; sur le troisième, divers arrangements pour plusieurs violoncelles, ainsi que des œuvres d’un certain Franchomme, qui avaient été un temps attribuées à Chopin.

Ce Franchomme, c’est Auguste-Joseph, le plus célèbre violoncelliste de son temps, et un ami intime de Chopin. Nous verrons quelle a été sa place dans ce « Chopin Project ». Ce concert était un hommage à leur amitié. Camille Thomas était accompagnée par Julien Brocal, le pianiste qui a été celui de presque toutes les œuvres avec piano de cette aventure discographique.

Si son amitié avec Franchomme n’est pas étrangère à son amour pour le violoncelle, Chopin considérait surtout cet instrument, en effet celui le plus proche de la voix humaine, comme celui du chant. 

Sans même un accord sur scène, les musiciens attaquent directement avec un arrangement, par Camille Thomas elle-même, du Prélude, op. 28 n° 4 en mi mineur. Puis, sans transition, comme pour mieux illustrer la communion artistique des deux compositeurs, le Nocturne pour violoncelle et piano, op. 14 n° 1 de Franchomme. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’interprétation de Camille Thomas est, jusqu'au risque de l’excès, vocale. Ses nuances, en particulier dans les plus faibles, sont exacerbées, et il nous faut parfois tendre l’oreille, tant sa sonorité peut être fragile et détimbrée. En cela, comme dans ses fluctuations de temps, elle est impeccablement suivie par Julien Brocal.

Camille Thomas prend alors la parole. Tout au long de la soirée, en alternance ou de concert avec Julien Brocal, ils installeront une relation de proximité avec le public, avec des précisions sur le programme et des considérations personnelles, qui montreront la grande complicité entre les deux interprètes, et auront leur part dans l’accueil particulièrement chaleureux qu’ils recevront.

Suivait le Prélude, op. 28 n° 15 en ré bémol majeur, dit « La goutte d'eau », transcrit par Franchomme. Paradoxalement, la partie centrale, avec les notes graves jouées au violoncelle, est moins lugubrement impressionnante que dans la version originale pour piano seule. 

Place, maintenant, à la grande (près de 30 minutes) Sonate en sol mineur, op. 65, en quatre mouvements. Comme dans les courtes pièces qui ont précédé, leur approche reste toujours très émotive, sans hiérarchie dans l’intensité, ce qui maintient le public en émoi mais peut nuire aux passages les plus poignants. Dans le même ordre d’idée, en mettant la même énergie dans le Scherzo, celui-ci perd de son caractère. Dans le Largo, le vibrato de Camille Thomas est très serré, et l’émotion est à son comble. La fin en devient désincarnée. Comme Julien Brocal l’a raconté, Chopin avait demandé à Franchomme, sur son lit de mort, de lui jouer ce mouvement. Le pianiste n’a pas précisé que, selon les témoignages de l’époque, Chopin, ébranlé, n’aurait pas supporté d’en entendre plus de quelques mesures. Il n’est pas exclu qu’avec cette interprétation certains spectateurs de notre concert aient éprouvé les mêmes sensations. La variété des différents épisodes du Finale oblige les musiciens à les différencier, ce qui a moins été le cas dans les mouvements précédents ; c’est bienvenu.

C'est le moment de l’hommage au violoncelliste Mischa Maisky, avec un arrangement qu’il a réalisé du célébrissime Nocturne en si mineur, op. posth. Camille Thomas raconte qu’après avoir vécu toute cette aventure Chopin, pendant sept ans, avec l’instrument de Stradivarius qui avait appartenu à Franchomme lui-même et qui lui avait été fourni par une grande fondation, elle avait dû s’en séparer. Mischa Maisky lui avait alors prêté un violoncelle de Gofriller. C’est l’occasion de dire que le jeu de Camille Thomas rappelle, par l’engagement émotionnel et ses nuances à la limite de l’évanescent, celui de Mischa Maisky. Ce Nocturne nous réserve de bien beaux moments.

Le programme se terminait avec Introduction et Polonaise Brillante, op. 3, une œuvre avec une partie de piano pour le moins conséquente, ce qui nous permet d’admirer la bien belle technique de Julien Brocal, la délicatesse de son toucher et la vivacité de son jeu. Son rubato peut sembler trop appuyé, mais c’est aussi ce qui fait qu’il est en osmose musicale parfaite avec Camille Thomas. 

Voilà qui concluait brillamment une soirée où le public ne pouvait qu’être conquis. Comme il en redemandait, ils ont eu droit, d'abord, à la transcription qu’ils avaient eux-mêmes réalisée du sublime Larghetto du Concerto pour piano N° 1 (Julien Brocal avait prévenu : « Préparez vos mouchoirs »). Puis, pour terminer sur une note virtuose, avec une pièce dans laquelle les musiciens font preuve d’un séduisant sens théâtral, la Rapsodie hongroise op. 68 de David Popper (dont le rapport avec Chopin est quelque peu lointain, même si Camille Thomas parvient à faire le lien via Franz Liszt).

C’était leur dernier concert de ce projet Chopin qu’ils ont porté si longtemps, et dans lequel ils se sont tant impliqués. Ils n’ont pas caché ce qu’ils ressentaient. Sur le plan musical, ils ont le mérite d’aller jusqu'au bout de leurs choix d’interprétation. Dès lors, on adhère, ou pas, mais on ne peut qu’être sensible à leur générosité et à leur sincérité. Le public a partagé leurs émotions, les a vécues avec une intensité palpable, et, après tout, c’est bien ce que recherchait Chopin lui-même.

Le XXIe siècle de Thierry Pécou et ses prédécesseurs, avec l’Ensemble Variance

Ce programme s’intitulait « Un gamelan dans la roulotte », du nom d’une des pièces de Thierry Pécou jouées. Nous verrons pourquoi la roulotte. Le gamelan, c’est un orchestre traditionnel indonésien, composé pour l’essentiel de percussions, lesquelles sont considérées comme un seul instrument, dans le sens où on ne les sépare pas. Ceux qui en jouent (souvent, dès le plus jeune âge) répètent systématiquement ensemble. Il a, ainsi, fondamentalement, une fonction sociale.

En France, il a été découvert à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889, et a grandement impressionné, et même influencé, Claude Debussy. Par la suite, de nombreux compositeurs nord-américains, tout spécialement du courant dit « minimaliste », se sont inspirés notamment de son caractère répétitif. Lors de ce concert, trois d’entre eux, véritables « stars » de la composition aux États-Unis, tous nés entre 1937 et 1947, étaient joués : Philip Glass, Tom Johnson et John Adams. On a pu entendre également une pièce de l’un de leurs compatriotes qui les avait précédés, Moondog, ainsi que d’un compositeur canadien, doyen de ce concert : Colin McPhee. Et, bien sûr, des œuvres toutes récentes de Thierry Pécou.

Car les musiciens étaient ceux de l’Ensemble Variance, basé à Rouen (c'est-à-dire à quelques dizaines de kilomètres), et qui depuis 2010 « reflète l'univers de son fondateur, le compositeur et pianiste Thierry Pécou dont la musique témoigne d’une ouverture et d’un intérêt fondamental pour les cultures de traditions orales du monde, tout en cherchant à relier par sa puissance expressive la musique de notre temps à des problématiques contemporaines, qu'elles soient humanistes, historiques ou du domaine de l’écologie. »

Le gamelan et le minimalisme, donc. Mais Thierry Pécou a voulu donner à ce concert un fil conducteur. Pour lui, le plus impressionnant dans le gamelan est la technique du kotekan, qui « consiste à imbriquer des micro-mélodies entre deux instrumentistes ». Il n’en a parlé qu’au moment de jouer ses propres œuvres, mais nous le citons dès maintenant, car le tout début nous y plongeait d’entrée.

Il s’agissait d’une très courte pièce de Tom Johnson, le premier des Counting Duet (1982), pour deux voix qui comptent dans des ordres inverses, en se répondant. Anne Warthmann et Nicolas Prost sont d'abord de chaque côté de la scène, et se rapprochent l’un de l’autre à chaque fois que le « compteur » revient à zéro. Sans transition, Marie Vermeulin joue l’Étude pour piano n° 6 (1994) de Philip Glass, qui est déjà presque un classique (rien que chez Deutsche Grammophon, qui est très généraliste et pas vraiment spécialiste de cette période, on en trouve des enregistrements de pianistes aussi prestigieux que Víkingur Ólafsson et Yuja Wang). Musique répétitive, certainement, mais avec un indéniable caractère romantique dans l’expression. Marie Vermeulin nous en offre une interprétation solide, remarquable de lisibilité.

Suivait la pièce la plus ancienne de ce concert : Balinese Ceremonial Music pour piano et clavier (1934) de Colin McPhee, pionnier de l’étude ethnomusicologique du gamelan en Occident. En trois mouvements (Pemoengkah, Gambangan et Taboeh Teloe), il y a le plus souvent un court motif qui se répète dans la partie de piano (Marie Vermeulin), tandis que le clavier électrique (Thierry Pécou) joue des mélopées qui, même si elles évoluent, ont quelque chose d’obsédant. À noter que, sans doute pour accentuer ce côté « katekan », les interprètes ont, au tout début des deuxième et troisième mouvements, fait le choix de se répondre avec de très courtes interventions, alors que dans la partition c’est un seul piano qui est prévu. Pour cela, ils jouent nettement plus lentement que l’indication sur la partition (avant d’en retrouver le bon tempo et l’écriture quand les deux instruments doivent jouer ensemble). Entre la différence de timbre des deux instruments, et leur distance sur la scène, cela peut faire penser à des bergers qui communiquent d’une vallée à l’autre. Malheureusement, sans doute à cause de cette distance, il arrive souvent que, alors qu’ils devraient être parfaitement synchronisés, les interprètes soient très légèrement décalés.

Les autres instrumentistes (Anne Cartel à la flûte, Nicolas Prost au saxophone soprano et Romuald Grimbert-Barré au violon) rejoignent alors les deux claviers pour une deuxième pièce de Philip Glass : Facades (1981). Sur des cellules répétitives des autres instruments, le sax et la flûte développent des motifs le plus souvent ascendants et conjoints. Un léger vibrato donne à leur interprétation une sobriété qui ajoute à l’atmosphère introspective de cette pièce envoûtante.

C’est alors le moment des pièces de Thierry Pécou lui-même. Il explique qu’il s’intéresse au gamelan depuis 2020. Les pièces que nous entendons sont donc toutes récentes. 

La première est celle qui donne son titre à la soirée : Un gamelan dans la roulotte. Alors que cette pièce, en six parties, est écrite pour un seul pianiste qui joue de deux instruments en même temps (en l’occurrence, Jeanne Bleuse, qui les a créés en 2022, dans sa roulotte tirée par un cheval – d’où le nom), ici ce sont Marie Vermeulin au piano, et Thierry Pécou au clavier électrique, qui en ont joué les deux premiers numéros, à deux instruments, donc, pour mettre en valeur le côté « katekan ». Il en résulte une forme de « stéréo », et de très intéressants alliages de timbres entre le piano et les différents jeux du clavier électrique. 

La seconde lui a été inspirée par l’Inde : Anna Sutra, pour soprano, piano et orgue éclectique. Écrite au tout début des recherches de Thierry Pécou, en 2020, elle a été créée, précisément, par Anne Warthmann. Elle s’accompagne elle-même au piano. Quant à l’orgue électrique, il n’y en a pas. Et pourtant, on entend des sons tenus (sur la note ré) dont on ne saisit pas la provenance. Finalement, on s’aperçoit que ce sont le violon, le sax ténor et la flûte, qui se relaient, d'abord cachés puis en se déplaçant dans la salle, qui jouent. L’accompagnement au piano est relativement simple (probablement prévu pour être joué par la chanteuse), volontiers répétitif, tandis que la voix, tout en vocalises, développe une grande variété de timbres, d’attaques et d’ambiances. Anne Warthmann y excelle. Par trois fois, elle donne un coup de mailloche (avec une réussite inégale) au bol tibétain posé sur le piano. L’ensemble est ensorcelant.

L'Ensemble Variance se retrouve alors au complet pour une troisième pièce de Philip Glass (décidément bien représenté) : Music in Similar Motion (1969). Avant d’être orchestrée en 1981, la version originale était « une œuvre ouverte pouvant être jouée par n'importe quelle formation instrumentale. » Pièce explicitement répétitive (le titre pourrait se traduire par « Musique en mouvement similaire »), elle fait entendre un court motif en notes conjointes, avec aussi deux tierces et une sixte, inlassablement répété avec quelques modifications rythmiques et souvent transposé. Les instruments entrent un par un, et finissent par jouer tous ensemble, en homonymie rythmique. On entend malheureusement peu la voix, mais quand elle ressort, elle apporte une variété sonore bienvenue.

Nouvelle grande figure de la musique minimaliste avec John Adams, et son Road movies pour violon et piano (1995). En trois mouvements qui l’apparentent à une sonate, cette œuvre a séduit des violonistes aussi talentueux et exigeants que Leila Josefowicz, James Ehnes ou Augustin Hadelich. Dans les passages rythmiques du Relaxed Groove, le violon de Romuald Grimbert-Barré est parfois couvert par le piano, il est vrai plus engagé, de Thierry Pécou ; il semble plus inspiré dans les passages chantés. Le Meditative nécessite une « scordatura » du violon, c'est-à-dire un désaccord : la corde la plus grave, le sol, est encore abaissée d’un ton. C’est une pièce rêveuse, nostalgique, qui pourrait être plus habitée. Quant au finale, au titre énigmatique de "40% Swing" (guillemets compris – à noter que si les titres des deux premiers mouvements figurent bien dans le catalogue des œuvres de John Adams, ils n’apparaissent pas sur la partition), elle est tout en nerfs, pleine d’accents. Là encore, elle pourrait avoir davantage de relief.

Le concert se terminait par Oasis (1953) d’un certain Moondog (son nom de naissance était Louis Thomas Hardin, mais à l’âge de trente ans il a décidé de prendre ce nom qui était celui d’un chien « qui hurlait à la lune bien plus que tous les chiens que [qu’il] connaissai[t] »). Les six musiciens de l'Ensemble Variance sont sur scène. Les deux claviéristes farfouillent à l’intérieur du piano, pour jouer avec les cordes elles-mêmes, mais pas (à l’exception d’un mi grave récurrent) sur les touches. La chanteuse, à l’aide d’un bracelet de coquillages qu’elle utilise au début et à la fin, sans partition, semble improviser des percussions vocales dans le micro. Tout cela constitue un accompagnement au violoniste, à la flûtiste et au saxophoniste, qui, eux, sont bien avec leur instrument, devant une partition, et jouent dans un style qui rappelle nettement le jazz.

En bis, ils jouent à nouveau cette pièce. Cela nous confirme que la chanteuse improvisait, puisqu’elle nous gratifie de nouvelles sonorités !

Contrairement aux deux concerts précédents, la salle n’était pas tout à fait pleine. Il y avait tout de même un « taux de remplissage » extrêmement encourageant pour un style musical inédit pour ce lieu. Décidément, ces Musicales de Normandie ont beaucoup de succès, et nous ne pouvons que nous en réjouir !

Varengeville-sur-Mer, Musée Michel Ciry, 27, 28 et 30 juillet 2025

Pierre Carrive

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