Les séduisantes sonates pour guitare de Manuel Ponce par Simone Rinaldo

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Manuel Ponce (1882-1948) : Sonates pour guitare, intégrale : Sonata mexicana, Sonata n° 3, Sonata clásica, Sonata romántica, Sonata meridional. Simone Rinaldo, guitare. 2023. Notice en anglais. 71.40 (+ bonus digital 9.53). Da Vinci Classics C00774.

La rencontre de Manuel Ponce avec Andrés Segovia à Mexico en 1923, à l’occasion d’une tournée de concerts du guitariste, aura été l’une des plus importantes de sa vie. Chargé de rédiger un compte rendu de ses prestations pour un journal local, Ponce fut littéralement conquis. Il rencontra Segovia, qui avait alors trente ans ; les deux musiciens entamèrent une amitié profonde qui dura jusqu’à la disparition du compositeur, vingt-cinq ans plus tard. Jusqu’alors, Ponce avait écrit pour divers instruments, dont le piano, notamment un concerto, de la musique orchestrale et de la musique de chambre. Dans la foulée de cette tournée, il conçut un court morceau pour guitare qui allait aboutir à sa Sonata mexicana.

Né dans l'État de Zacatecas, au centre-nord du Mexique, le jeune Manuel, douzième enfant très doué d’un père révolutionnaire, s’était rendu en Europe en 1904, après des études de piano au Conservatoire de Mexico. Il y demeura quatre ans, poursuivit sa formation à Bologne, puis à Berlin avec Martin Krause, un élève de Liszt. De retour au pays, il enseigna au conservatoire de la capitale, de 1909 à 1915, tout en composant, avant de découvrir New-York, puis La Havane et ses rythmes cubains qu’il assimila. Soucieux d’un continuel perfectionnement, il se rendra encore à Paris entre 1925 et 1933, deviendra l’élève et l’ami de Paul Dukas, et décrochera un diplôme de composition à l’Ecole nationale de musique. Un parcours des plus éclectiques pour ce musicien tôt reconnu au Mexique pour sa mélodie Estrellita de 1914, devenue célébrissime. 

La production pour la guitare de Ponce débuta donc avec cette rencontre de l’un des monstres sacrés de l’instrument, auquel il dédiera son Concierto del Sur en 1941. Le virtuose l’enregistrera sous la direction d’Enrique Jorda. Si les Variations et fugue sur La Folia (1929) ou son Hommage à Tarrega (1931) figurent au firmament du répertoire de Ponce, ses sonates en constituent peut-être la quintessence. Échelonnées entre 1923 et 1929, elles sont placées sous l’influence de Segovia, auxquelles elles sont destinées et qui les jouera régulièrement. On les retrouve dans le volume 6 de la collection Segovia parue chez MCA en 1989. Après la Sonate mexicana de 1923, chatoyante et aux accents chaleureux (superbe Andantino), directement inspirée par la première rencontre des deux musiciens, Ponce en écrit une autre, dont la partition sera hélas détruite au domicile du guitariste pendant la guerre civile. Ponce avait bien compris que la technique de Segovia, qui alliait un toucher sensible à la puissance du son, répondait à ses propres aspirations, imprégnées de plus vastes dimensions que le seul intimisme. 

Dans la Sonate n° 3 de 1927 (la disparue aurait dû porter le chiffre 2), Ponce fait la démonstration des diverses influences qu’il a assimilées au cours de ses déplacements. On y trouve des réminiscences du folklore européen, notamment espagnol, mais aussi de la tradition romantique, sans oublier des allusions au chant grégorien, au baroque et même au jazz. Séduit par les compositeurs du début du XIXe siècle, Ponce cristallise son admiration pour eux dans les deux sonates qui suivent. La Sonata clásica (1928) est un hommage au Barcelonais Fernando Sor et à sa capacité mélodique qui se souvenait souvent de Haydn et Mozart. Segovia fut à ce point séduit par l’œuvre qu’il la joua régulièrement en public, la combinant avec des pages de ce compositeur du siècle précédent. C’est un autre hommage, à Schubert cette fois, qui anime la Sonata romántica (1929). Une intense poésie se dégage de ces vingt-cinq minutes inspirées qui traduisent, notamment dans un Andante espressivo sensible et chantant, toute l’admiration de Ponce pour le lyrisme du Viennois. Dix ans plus tard, le compositeur écrira encore sa brève Sonatina meridional.

Si la référence historique d’Andrés Segovia domine la discographie, l’Italien Simone Rinaldo, qui a notamment étudié au Conservatoire de Musique G. Verdi de Milan avec Maria Vittoria Jedlowski, en offre une version souplement attachante. Il adopte en général des tempi moins vifs que ceux de Segovia, dont la force intrinsèque touche souvent à la flamboyance. Il propose plutôt une approche qui souligne le lyrisme et le raffinement classique de ces pages-phares de l’instrument au XXe siècle.

Son : 8,5  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 8,5

Jean Lacroix        

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