Lugansky et Boreyko réunis à BOZAR
Maurice Ravel (1875-1937) : Le tombeau de Couperin
César Franck (1822-1890) : Le chasseur maudit, poème symphonique, M 44
Johannes Brahms (1833-1897) : Concerto pour piano et orchestre n°1 en ré mineur, op. 15
Orchestre National de Belgique, Andrey Boreyko, direction – Nikolai Lugansky, pianoAprès un concert au Nouveau Siècle à Lille jeudi soir, l’Orchestre National de Belgique retrouvait vendredi la salle Henry le Bœuf pour un concert de saison très attendu, notamment par la présence exceptionnelle de Nikolai Lugansky. La pièce maîtresse du concert : le Concerto pour piano n°1 de Brahms. Plus une symphonie avec piano qu’un concerto, l’œuvre débute avec une longue introduction à l’orchestre, maîtrisée avec poigne par Andrey Boreyko. Soulignons également la qualité remarquable ce soir des timbales, tenues admirablement par Katia Godart. Ne pas faire de cette partie percussive un élément démonstratif mais trouver au contraire sa place au service de l’expression dramatique n’est pas une tâche aisée. Comme toujours dans Brahms, Boreyko modèle ses phrases avec intelligence, aborde l’œuvre avec fluidité, avec fougue lors des tutti, tout en contrôlant les masses avec dextérité. L’entrée du piano se fond ainsi dans les dernières résonnances avec délicatesse et souplesse. On retrouve un Luganski sobre en première partie, presque feutré mais expressif. Il aura fallu quelques minutes au pupitre des vents pour trouver sa place avec le piano, piano très voire parfois trop discret. L’ensemble prend davantage possession de la salle lors de la seconde grande section, démarrant sur des sauts d’octaves. Le jeu pianistique est puissant, vif et dramatique. Dans une œuvre de près de 50 minutes, Lugansky effectue un long travail sur la construction des lignes mélodiques et contours harmoniques. Le second mouvement affiche cette même finesse avec un jeu pianistique bouleversant. Cet Adagio, interprété par tous telle une rêverie, se fond à merveille dans la salle. Lugansky prend le temps ce soir, aucun sursaut ou pression, juste le temps nécessaire au service de l’expression, notamment lorsqu’il amène les sections d’orchestre, et principalement la dernière, émouvante. Le Rondo final, une longue chevauchée, trouve ici toute l’énergie requise de la part des protagonistes. Naturellement joyeux, Lugansky propose un jeu qui rebondit, avec fraicheur, et qui ne s’épuise jamais. Boreyko et son orchestre suivent le pianiste efficacement, en trouvant une place juste et un équilibre idéal (on notera tout de même quelques soucis de justesse). La première partie du concert fut tout aussi intéressante : Le tombeau de Couperin de Maurice Ravel s’est vue dirigée par une baguette imagée et limpide. Boreyko laisse le soin à l’orchestre, tout en modelant bien sûr, de développer des couleurs et dynamiques, appropriées et animées. Il prend aussi le temps d’appuyer toutes les trouvailles sonores et harmoniques surprenantes, rendant ainsi l’exécution gracieuse et vivante. Le chasseur maudit de César Franck est construit de la même manière, avec un profond respect du chef et des musiciens pour la partition. Quatre sections se succèdent et suivent l’histoire d’un poème de Gottfried August Bürger. Entrée éclatante des cors, suivie de réponses et motifs plus calmes. Chaque section évoquant une partie du poème, l’orchestre y trouve l’équilibre idéal et ne se laisse aller à aucun moment dans la facilité. Brillance, atmosphère angoissante, énergie pressante… tout y est. Notons enfin la présence de Mircea Calin comme konzermeister, qui a ce soir démontré de très grandes qualités, notamment de dialogue, à ce poste.
Ayrton Desimpelaere
Bruxelles, BOZAR, le 29 janvier 2016