L’ultime veine créatrice de Bach, convoquée à la mémoire du facteur d’orgue Gérard Bancells

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Bach à Leipzig. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Ricercar à six voix [Offrande musicale BWV 1079]. Dies sind die heiligen Zehn Gebot ; Fughetta super Dies sind die heiligen Zehn Gebot ; Wir glauben all’ an einen Gott ; Vater Unser im Himmelreich [BWV 678-683, Clavierübung III]. An Wasserflüssen Babylon ; Nun komm, der Heiden Heiland ; Trio super Nun komm, der Heiden Heiland ; Jesus Christus, unser Heiland BWV 653, 659-661, 665, 666 [Autographe de Leipzig]. Vom Himmel Hoch da komm ich her BWV 701. Variations canoniques BWV 769a. Vor deinen Thron tret’ ich hiermit BWV 668. Stéphane Bois, orgue de la chapelle Sainte-Claire de l’Institut catholique de Toulouse. Livret en français, anglais. Juillet 2022. TT 78’49. Hortus 226

Un généreux et émouvant album, riche de chemins croisés, que fédère l’ultime période créatrice du Cantor. Et peut-être avant tout, un hommage à l’organiste et facteur Gérard Bancells, disparu en 2020. Ce disque honore son souvenir, sur un instrument (son premier) qu’il avait construit en 1994, l’année où son ami Stéphane Bois sortait lauré de la classe de Michel Bouvard au Conservatoire de Toulouse et fut nommé co-titulaire en l’église Saint Étienne de la ville rose. Parmi ses multiples activités et talents (la photo de couverture est signée de son nom), Stéphane Bois enseigne à l’Institut catholique, associé à cet in memoriam, dont la chapelle Sainte Claire accueille l’enregistrement.

Cet orgue de taille relativement modeste (27 jeux sur deux claviers et pédalier) mais plantureux, la notice prend soin de détailler ses accointances avec le répertoire baroque germanique, ici entièrement incarné par son éminent représentant. Parmi les géniaux témoignages d’ascèse polyphonique qui caractérisent sa pensée en sa décennie testamentaire, le programme suit la piste de l’ars canonica. Que ce soit par quelques chorals représentatifs de cet art du tuilage des voix, du Ricercar de la Musikalisches Opfer, ou des Variations sur le chant de Noël Vom Himmel Hoch da komm ich her. En toute intelligence avec le calendrier liturgique, cette élaboration contrapuntique sur le cantique de la Nativité est précédée par le décor de l’Avent, Viens, Sauveur des païens (BWV 659-661), couronnant deux séquences de six chorals empruntés à l’Autographe de Leipzig et au catéchisme de la Clavierübung III (trois paires consécutives BWV 678-683). 

Valorisée par une prégnante captation sonore, l’approche de Stéphane Bois s’épanouit dans une articulation souveraine : son interprétation du triptyque Nun komm, der Heiden Heiland se résumerait par le serein chant intérieur (BWV 659), la suprême liberté (BWV 660 malaxé al fresco) et l’élévation transcendante (BWV 661), pour citer trois vecteurs énoncés dans la conclusion de la notice. La solennelle gravité du Ricercar qui introduit le disque sur les anches se sera progressivement transmuée en cette lumière d’été indien qui inonde l’exécution salvatrice des Canonischen Veränderungen, que l’on a rarement servies avec tant d’éloquence, ainsi pétries d’une torride rhétorique, d’un zèle quasiment pentecôtiste. Avocats en gloire, d’une bouleversante ampleur de souffle, les tuyaux y plaident pour leur défunt concepteur. En guise d’épitaphe, le parcours culmine sur ce qui ne saurait mieux parachever le catalogue de Bach autant que ce tribut à Gérard Bancells : le chemin vers Dieu (Vor deinen Thron tret’ ich hiermit). « Qu'il se repose de ses travaux, car ses œuvres le suivent ».

Christophe Steyne

Son : 8,5 – Livret : 9 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9,5

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