Marin Alsop et le DSO Berlin à Bozar : entre virtuosité et profondeur

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Ce dimanche 2 novembre a lieu le concert du Deutsches Symphonie-Orchester (DSO) de Berlin à Bozar. La phalange berlinoise, dirigée par Marin Alsop, est accompagnée du pianiste japonais Hayato Sumino. Trois œuvres figurent au programme de la soirée : Fate Now Conquers de Carlos Simon, le Concerto pour piano et orchestre n° 1, op. 11, en mi mineur de Frédéric Chopin, ainsi que la Symphonie n° 4, op. 98, en mi mineur de Johannes Brahms.

Le concert s’ouvre avec Fate Now Conquers, de Carlos Simon. Commandée par le Philadelphia Orchestra et son directeur musical Yannick Nézet-Séguin, cette pièce a été composée en 2020 par le compositeur américain. Il s’est inspiré de la structure harmonique du deuxième mouvement de la Septième Symphonie de Beethoven, ainsi que d’un extrait de l’Elias. L’œuvre condense en cinq minutes toute l’incertitude de la vie. Le DSO en donne une belle interprétation, avec des cordes dont les arpèges fougueux se dissipent peu à peu en un voile indéfinissable. Les vents ponctuent le discours musical par des interventions agitées, tandis que les timbales se démarquent par leurs éclats.

Après cette brève introduction, place au Concerto pour piano et orchestre n° 1, op. 11, en mi mineur de Frédéric Chopin. Ce concerto est en réalité le deuxième qu’il compose chronologiquement : il l’écrit en 1830, alors que le Concerto pour piano et orchestre n° 2, en fa mineur, date de 1829. Le pianiste japonais Hayato Sumino est le soliste de la soirée. Il livre une très belle prestation, faisant preuve d’une virtuosité évidente tout en conservant une certaine retenue, évitant ainsi toute outrance. Il montre également une grande sensibilité et un large éventail de nuances. Toutefois, l’alchimie entre le soliste et l’orchestre n’est pas totalement aboutie, comme en témoigne la fin du développement du premier mouvement, où l’on perçoit une légère zone de turbulences. Marin Alsop veille cependant à maintenir la cohésion et permet aux deux parties de rester ensemble. On peut aussi regretter que le pianiste ne rentre pas dans le ritenuto de l’orchestre lors de sa première intervention dans le Rondo.

Bien que certains critiquent Chopin pour une orchestration jugée maladroite, il faut rappeler qu’il n’a que 20 ans lorsqu’il compose cette œuvre. De plus, il accorde une place centrale au piano, l’orchestre n’ayant qu’un rôle d’accompagnement. Il n’en demeure pas moins que l’orchestre berlinois se montre exemplaire dans cet exercice : il joue avec plaisir, soutient brillamment le soliste, le tout sous la direction claire de Marin Alsop. En bis, Hayato Sumino nous propose une interprétation décoiffante de la pièce de Gershwin, I got rhythm, dans un arrangement qu’il a lui-même réalisé. 

Après l’entracte, place à la plus célèbre des symphonies de Brahms : la Symphonie n° 4, op. 98, en mi mineur. Marin Alsop s’empare de l’œuvre, qu’elle dirige par cœur, et livre une excellente interprétation de cette pièce majeure du répertoire symphonique.

Dans le premier mouvement, le premier thème se déploie avec grâce, tandis que le second révèle un lyrisme exalté par le pupitre des violoncelles, le tout ponctué par les interventions rythmées des vents. Dans le second mouvement, le cor solo, puis les bois, énoncent avec sobriété le premier thème. Brahms confie à nouveau aux violoncelles le deuxième thème, interprété avec un son rond et chaleureux. La réexposition de ce thème constitue sans doute l’un des plus beaux moments du concert : un instant suspendu, porté par la beauté de la musique et par une remarquable homogénéité, notamment entre les différents pupitres de cordes. Marin Alsop modèle la fin du mouvement avec une grande profondeur.

Le troisième mouvement prend des allures de fête, avec des sections contrastées et pleines d’allant. C’est le dernier moment de joie avant un quatrième mouvement plus sombre. Brahms s’inspire ici de la basse d’une cantate de Bach pour construire le premier thème, qu’il fait ensuite varier pas moins de trente fois, dans des caractères tour à tour marqués (marcato) ou très lyriques. La première flûte se distingue par un solo exécuté avec brio et humilité. Plus loin, les cuivres s’imposent dans les passages en style choral, avec un son ample et chaleureux. Les timbales structurent le mouvement en soulignant les étapes, tout en renforçant le suspense et les points culminants. L’exécution de la symphonie s’achève sur une coda véhémente.

La prestation est acclamée par une standing ovation méritée. Le DSO offre en effet une interprétation de haut niveau, alliant caractère, large palette dynamique, intensité, homogénéité, et un plaisir évident de jouer. Marin Alsop construit avec intelligence l’architecture de la symphonie, tout en préservant la sensibilité et le soin du détail.

La soirée se conclut sur une note festive avec la Danse hongroise n° 5 de Brahms. Dès les premières mesures, un public conquis applaudit en rythme. Marin Alsop dirige à la fois l’orchestre et la salle, indiquant au public quand il peut participer. Un moment de joie partagé entre musiciens et auditoire.

Bruxelles, Bozar, le 2 novembre 2025

Thimothée Grandjean

Crédits photographiques : Theresa Wey

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