Miniatures pianistiques belges
Pièces égoïstes. Oeuvres pour piano de Joseph Jongen (1873-1953), César Franck (1822-1890), Arthur De Greef (1862-1940), Michel Lysight (1958), Guillaume Lekeu (1870-1894), Léon Jongen (1884-1969) , Théo Ysaye (1865-1918) et Frederik van Rossum (1939-2025). Jean-Claude Vanden Eynden, piano. 2025. Livret en français, anglais, néerlandais, allemand. 65’18. Musique en Wallonie, MEW 2511.
Infatigable avocate du patrimoine souvent méconnu et des interprètes de nos régions, Musique en Wallonie enrichit son catalogue d’un inattendu album intitulé « Pièces égoïstes ». Cette parution poursuit un louable objectif : faire découvrir ou redécouvrir de brèves et trop souvent méconnues pièces pour piano parues sur plus d’un siècle (entre 1885 et 2008 pour être précis) et dont certaines, dont les manuscrits sont heureusement conservés la Bibliothèque royale de Belgique, n’ont même pas été publiées et sont rendues ici à la vie sous les doigts invariablement inspirés du merveilleux pianiste Jean-Claude Vanden Eynden, à qui cet enregistrement rend justement hommage. Il faut dire qu’en entendant à l’oeuvre ce si fin musicien -élève du grand Eduardo del Pueyo, troisième lauréat du Concours Reine Elisabeth de 1964 à 16 ans à peine, professeur recherché au Conservatoire de Bruxelles et merveilleux chambriste- on se dit que la gloire ne distingue pas toujours les meilleurs et que ce qu’on imagine être la discrétion et la modestie de l’artiste l’ont sans doute desservi par rapport à la grande carrière qu’il eût mérité de faire.
Si les interprétations de cette collection de rares miniatures de la musique de piano belge sont superbes tout comme l’instrument non identifié et la remarquable prise de son, il faut reconnaître qu’on cherchera en vain un chef-d’oeuvre parmi le choix de morceaux proposés, qui tous sont de belle tenue et, qui plus est, dans une variété de styles à laquelle l’interprète s’adapte sans peine, offrant pour chacune de ces pièces une interprétation de grande qualité et faisant aussi bien admirer une irréprochable technique qu’un fine musicalité.
L'album s’ouvre sur Soleil à midi (1909) de Joseph Jongen. Cette pièce à l’écriture dense et virtuose, dont le côté ensoleillé rappelle par moments le trop négligé Séverac, mériterait certainement d’être entendue au concert.
Suit la Danse lente, écrite en 1885, ultime oeuvre pour piano de César Franck. d’une écriture dépouillée et très fine, elle va à l’essentiel d’une façon très touchante.
De l’illustre pianiste Arthur De Greef, Vanden Eynden nous offre la belle Valse-Caprice (1887). Oeuvre virtuose et exigeante, c’est une grande pièce de concert au caractère étonnamment sérieux (elle semble même presque par moments annoncer la Valse de Ravel) alternant dans sa partie médiane avec des épisodes où le compositeur se souvient certainement de Chopin. Nous tenons ici une très belle découverte.
Suivent alors les 7 Koan for piano du compositeur Michel Lysight, compositeur qui prône une musique néo-tonale, et s’inspire ici de la méditation zen. Tournant le dos à la complexité de la musique contemporaine post-sérielle, ces brefs morceaux d’un beau dépouillement invitent à une écoute attentive. Certains font penser à Wim Mertens ou Steve Reich, alors que la Koan V a quelque chose de dépouillé et calme proche de Takemitsu. Koan VII avec ses notes égrenées à la main droite est une espèce de berceuse. Cette musique volontairement simple mais sans rien de racoleur est interprétée ici par son dédicataire qui la créa en 2008 au Musée des instruments de musique (MIM) à Bruxelles.
C’est un Guillaume Lekeu de 18 ans à peine qui écrivit l’introspectif Andante (Pour moi seul). Assez proche de son futur professeur César Franck, le si doué compositeur verviétois se souvient aussi de Bach dans cet épanchement musical intime sans être larmoyant.
Frère puîné de Joseph Jongen, Léon Jongen est représenté ici par son Campeador (1932), évocation du Cid au net parfum espagnol. En dépit d’un ton volontiers épique, rien ne marque malheureusement dans cette oeuvre qui exige une grande virtuosité.
De Théo Ysaye (frère d’Eugène), Jean-Claude Vanden Eynden nous offre le beau Deuxième Nocturne pour piano, Op. 8 créé en 1904 par le grand pianiste et pédagogue Emile Bosquet. Là aussi, nous découvrons un morceau de qualité, à la tension bien conduite et une belle partie centrale nettement debussyste.
Ce sont les trois parties de Black & White, Op. 40 (1982) du très estimable Frederik Van Rossum qui concluent cet enregistrement. Conçues au départ de l’idée de faire jouer la main gauche exclusivement sur les touches noires du clavier et la droite sur les blanches, cette suite mérite qu’on s’y attarde. Le Prélude crée une véritable tension, alors que l’Intermède central touche par son introspection sincère. Quant au Postlude final, il fait entendre des rituelles sonneries de carillon dont l’atmosphère mystérieuse fait un peu songer à Bartók.
C’est ainsi que se conclut une intéressante anthologie confiée à un interprète de premier plan.
Son 10 - Livret 10 - Répertoire 7 à 9 - Interprétation 10