Nouvelles éditions raveliennes

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Les éditeurs préparaient le 150e anniversaire de la mort de Ravel depuis fort longtemps, car dès que ses œuvres sont tombées dans le domaine public (en 2008, 2016 ou 2022 selon les œuvres et selon les pays), les urtext ont commencé à fleurir sous l’autorité des meilleurs spécialistes. Œuvres fondamentales bien sûr, mais aussi raretés et pages jusqu’alors ignorées.

La Sérénade grotesque pour piano est considérée comme la première œuvre connue de Ravel. Il avait dix-huit ans et le témoignage de son camarade Gustave Mouchet atteste que Ravel la joua à son maître Émile Pessard au Conservatoire de Paris. Arbie Orenstein l’avait exhumée en 1975 chez Salabert. Henle en propose maintenant un urtext établi par Andreas Perpeintner probablement plus fiable dans la recherche des solutions aux problèmes posés par ce qui n’était qu’un devoir d’étudiant : le début du manuscrit est très précis puis les problèmes surgissent au fil des mesures, articulations, altérations erronées aux changements de clés, rythme… Chaque proposition est justifiée dans le commentaire critique. Doigtés de Cédric Tiberghien.

Ravel n’était guère plus âgé, et toujours étudiant au Conservatoire, lorsqu’il composa la cantate Sémiramis dont on ne connaissait l’existence que grâce aux carnets du pianiste Ricardo Viñes. Viñes attestait l’avoir entendue en 1902 à la classe d’orchestre sous la direction de Paul Taffanel. Le manuscrit, conservé à Montfort-l’Amaury dans la maison de Ravel, a été acquis par la BnF en 2000 et c’est grâce à la tenacité de François Dru que deux extraits (Prélude et danse) ont pu être publiés dans le cadre de la Ravel Edition et créés récemment par Gustavo Dudamel et l’Orchestre philharmonique de New York. Un troisième extrait, l’air de Manassès, sera créé à la fin de l’année à la Philharmonie de Paris sous la direction d’Alain Altinoglu. Le livret est celui de la cantate imposée au concours du Prix de Rome en 1900. Ravel n’y avait pas participé puisqu’il avait été éliminé dès la première épreuve. Alors pourquoi ce choix ? À l’époque, Ravel avait déjà livré des œuvres très personnelles comme les Jeux d’eau. Voulait-il montrer ce qu’il aurait pu faire s’il avait été admis à concourir ? L’écriture sage et respectueuse des normes académiques aurait peut-être plu à un jury au conservatisme exacerbé. Mystère. Néanmoins, pour une première approche de l’écriture orchestrale, tout y est, la finesse du trait, la précision des couleurs, même si les modèles restent visibles, notamment Rimski-Korsakov.

Autre œuvre de jeunesse découverte tardivement, L’Aurore, une pièce pour chœur et orchestre, avec une courte intervention de ténor solo, composée pour les épreuves préliminaires du Concours de Rome en 1905. Pour sa quatrième tentative, Ravel ne fut même pas admis aux épreuves finales, ce qui déchaîna un scandale dans la presse et dans le milieu musical. On disposait de l’édition Salabert, publiée il y a une trentaine d’années. Mais un véritable urtext s’imposait. Marc Rigaudière vient de le réaliser pour Carus, en remettant en situation cette œuvre beaucoup trop audacieuse pour le jury. Ravel avait déjà composé des œuvres marquantes comme son Quatuor, la Sonatine pour piano, la Pavane pour une infante défunte ou Shéhérazade avec laquelle on trouve de nombreux points communs. Il ne pouvait se soumettre à l’académisme de rigueur pour ce genre d’épreuve. 

Quelques autres urtext fleurissent en cette année anniversaire qui remplaceront avantageusement les éditions d’origine : le Quatuor chez Henle édité par Peter Jost d’après des archives jusqu’alors inaccessibles, et le Trio avec piano chez Bärenreiter édité par Douglas Woodfull-Harris qui s’est livré à un véritable parcours du combattant au milieu des sources et épreuves corrigées.

Il faut ajouter deux éditions urtext de L’Enfant et les sortilèges réalisées par Jean-François Monnard (Breitkopf) et François Dru (Ravel Edition). L’accès au manuscrit conservé dans les archives du Palais Princier de Monaco a permis, dans les deux cas, de corriger beaucoup de fautes qui n’avaient jamais été remises en cause dans l’édition Durand. Question d’habitude dans les éditions des œuvres de Ravel ! Je me dois de signaler que cet ouvrage étant encore protégé en France pendant huit ans, ces nouvelles partitions ne sauraient être utilisées pour des exécutions dans l’Hexagone. Mais comme on les trouve en devanture des meilleurs magasins de partitions, peut-on encore accorder quelque crédit à une réglementation que l’ensemble de la profession considère comme obsolète ? La France serait-elle condamnée aux fausses notes ?

Ravel, Sérénade grotesque pour piano, G. Henle Verlag.

Ravel, Sémiramis, prélude et danse, air de Manassès, Ravel Edition.

Ravel, L’Aurore pour ténor, chœur et orchestre, Carus Verlag. 

Ravel, Quatuor, G. Henle Verlag.

Ravel, Trio pour piano, violon et violoncelle, Bärenreiter.

Ravel, L’Enfant et les sortilèges, Breitkopf & Härtel.Ravel L’Enfant et les sortilèges, Ravel Edition.

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