On a osé Joséphine : Adèle Charvet chante Joséphine Baker
Rares sont les concerts allant au bout d’une promesse à vouloir rendre hommage à une personnalité dont les activités dépassent le champ de la musique. Produit par le Théâtre des Champs-Élysées et réunissant la mezzo-soprano Adèle Charvet, le chef d’orchestre David Reiland et l’Orchestre de Picardie, le concert dédié à Joséphine Baker tient-il ses promesses ?
En deux parties contrastantes (acoustique/amplifiée, classique/music-hall), la soirée s’est articulée autour du talent d’Adèle Charvet, très incarnée et naturelle aussi bien dans la chanson que dans la nouvelle pièce de Caroline Marçot, Chalk Line – from Clotilda to Joséphine, qui explore le timbre alto, boisé et ample, de la chanteuse mezzo-soprano.
Commandé par Consortium créatif (réunissant cinq orchestres français qui s’unissent pour favoriser la création et partager ainsi les coûts de la production), la nouvelle pièce de Caroline Marçot s’attaque à un projet audacieux – mettre en musique le discours de Joséphine Baker, prononcé au Lincoln Memorial de Washington le 28 août 1963 lors de la marche pour l’emploi et la liberté des Noirs américains. Au-delà des styles jazz et blues, traités dans une écriture très concise pour un orchestre mozartien, ce sont des mots, et non un univers psychologique de Joséphine Baker, qui sont saisis musicalement.
À l’écoute et à la vue (car une projection vidéo accompagne la musique avec des images de paysages, de manifestants dans les rues, du visage d’Adèle Charvet et des bribes du texte chanté : Freedom, Hope, etc.), l’expérience est hypnotisante jusqu’au moment où l’on s’installe confortablement dans un univers sonore entre gospel et prédication.
Rempli de références textuelles et musicales (Nina Simone, Daisy Bates, Mahalia Jackson, Lena Horne, cake-walk, chanson de travail Old Alabama), c’est moins la voix de la compositrice que celle d’une assembleuse de différents éléments qui transparaît à travers cette pièce qui sonne déjà un peu familière. En effet, Chalk Line semble rejoindre ces œuvres qui, par leur actualité brûlante, manquent leur rencontre avec le monde contemporain, déjà plus contemporain que celui d’hier. Certaines notions textuelles ne sont-elles pas déjà remises en question dans ces mêmes États-Unis qu’évoque l’œuvre ?
Chalk Line marque un énorme point et se démarque d’ores et déjà dans le contexte de la musique contemporaine française, qui se saisit rarement des sujets du genre, encore moins de la race, mais elle se tient comme un monument ne remettant pas en question sa propre histoire.
Après Le Bœuf sur le toit de Darius Milhaud, une œuvre phare des années 1920 (et qui donnera par ailleurs son nom au cabaret parisien Le Bœuf sur le toit, inauguré en 1922 et fréquenté par Joséphine Baker), huit numéros, orchestrés par Johan Farjot, ont ouvert le bal de type music-hall.
Après une orchestration inattendue, très chargée en contrepoint (mais rafraîchissante) de la Petite fleur de Sidney Bechet, les autres partis pris semblent moins convaincants, notamment dans la Moonlight Serenade de Glenn Miller (tempo très allant), J’ai deux amours de Vincent Scotto, méconnaissable dans son apparat très Moulin Rouge ou encore dans Blowin' in the Wind de Bob Dylan (avec son orchestration proche de celles d’Alan Menken).
Moins une célébration du parcours exceptionnel de Joséphine Baker (chanteuse et danseuse devenue une résistante panthéonisée) qu’une soirée hommage aux années folles, ne pourrait-on pas aller plus loin dans le mythe d’une Américaine à Paris ?
Deux autres concerts (Gala Joséphine Baker, 04/10 ; concert pour les familles dédiée à Joséphine Baker imaginé par Karol Beffa) compléteront certainement cette première proposition.
Paris, Théâtre des Champs-Élysées, mardi 30 septembre 2025
Gabriele Slizyte
Crédits photographiques : Capucine de Chocqueus