Portrait en musique de la princesse Anne Amélie de Prusse

par

Liebe Amalia. Œuvres d’Anna Amalia de Prusse (1723-1787), Wilhelm Friedemann Bach (1710-1784), Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), Johann Philipp Kirnberger (1721-1783). Jean Brégnac, flûte. Chantal Santon Jeffery, soprano. Daria Fadeeva, pianoforte, Yoann Moulin, clavecin, clavicorde. Marie Rouquié, violon. Jennifer Hardy, violoncelle. Nicolas Bouils, flûte.Décembre 2022. Livret en français, anglais, allemand ; paroles en langue originale et traduction trilingue. 77’48’’. Harmonia Mundi HMM 905378

À travers trois compositeurs de son entourage se dessine un hommage à la sœur cadette de Frédéric II, cette « chère Amalia » évoquée par le sous-titre de l’album. Outre ses amours contrariées avec le baron Frédéric de Trenck, les mélomanes lui connaissent un goût pour les arts, acquis auprès de son professeur Johann Philipp Kirnberger, en particulier ses talents d’interprètes, ainsi que son rôle de mécène qui accompagna la carrière du second fils de J.S. Bach.

À l’aune de cette influence, le programme favorise des pièces de Carl Philipp Emanuel, principalement tirées de deux recueils. La galerie de portraits du Wq 117 se présente dans leur format natif pour clavier (Les Langueurs tendres au clavicorde, L’Aly Rupalich au pianoforte) ou en arrangement (La Xénophon en trio de deux flûtes et violoncelle, La Sybille en duo de violon et clavecin). Trois lieder Wq 194 alimentent le tribut vocal, ciselé par Chantal Santon Jeffery et Daria Fadeeva. En écho à ce que l’on connaît du destin de la princesse, le programme se structure en deux volets. Le premier se dramatise entre insouciance (Sonate en trio en ré majeur) et émois (D’amor per te languisco). La seconde partie de ce « voyage sentimental » veut transcender les peines de cœur et se réfugier dans l’introspection et la vertu (expiation, patience, altruisme sont vantés par les poèmes chantés), à l’instar d’Anne Amélie nommée abbesse séculière de l'abbaye de Quedlinburg par son frère.

Cet itinéraire converge vers la célèbre Sonate pour flûte solo en la mineur Wq 132, dont Jean Brégnac nous explique avoir reconsidéré l’ornementation : intéressante alternative aux valeureuses références gravées par Konrad Hünteler (MDG) et Barthold Kuijken (Accent). En tant qu’elle reflète l’apprentissage de son élève distinguée, la rayonnante Sonate en trio en ut majeur de Kirnberger aurait pu figurer dans la première partie, auprès de la Sonate pour flûte et d’un lied écrits par l’altesse prussienne elle-même, celui-là (An das Klavier) enregistré en première mondiale. Une virtuose L’Aly Rupalich, que Daria Fadeeva emporte avec panache, vient refermer le parcours qui aura illustré l’ère baroque sur le déclin, encore prisée par la princesse, autant que la vogue nouvelle de l’Empfindsamkeit et la voie vers le romantisme dont témoigne une Polonaise de Wilhelm Friedemann Bach.

Les pages d’ensemble instrumental sonnent avec une vigueur et une franchise qu’accuse une captation frontale voire un peu dure. On se montre plus sensible aux pièces de clavier défendues avec imagination et poésie par Yoann Moulin et Daria Fadeeva, qui expriment sans doute cette part d’intériorité de la dédicataire du disque. Sa vie somme toute mystérieuse laisse poindre un tempérament de femme libre, éclairée, entreprenante et bienveillante, singulièrement moderne pour l’époque et qui survit, aujourd’hui entreposées à la Staatsbibliothek de Berlin, dans les centaines de partitions qu’elle amassa. Tel quel, ce disque brosse un tableau intelligemment pensé de cette esthétique allemande en pleine mue galante.

Christophe Steyne

Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 6-9 – Interprétation : 8,5

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