Quatre compositrices pour le violon de l’Américain Philippe Quint
Milestones. Lera Auerbach (°1973) : Concerto pour violon et orchestre n° 1. Errollyn Wallen (°1958) : Concerto pour violon et orchestre. Lora Kvint (°1953) : « Odyssey », Rhapsodie pour violon et piano. Florence Price (1887-1953) : Adoration. Philippe Quint, violon ; Royal Scottish National Orchestra, direction et piano Andrew Litton. 2024. Notice en anglais. 62’ 27’’. Pentatone PTC 5187 408.
Fils de Lora Kvint, compositrice célèbre en Russie, Philippe Quint (°1974), qui a fait ses débuts à l’âge de neuf ans en jouant le Concerto pour violon n° 2 de Wieniawski, a étudié à Moscou avec Andrei Korsakov, avant de se rendre aux États-Unis en 1991 et d’achever ses études à la Juilliard School ; il a participé aussi à des masterclasses d’Isaac Stern ou d’Itzhak Perlman. Il est aujourd’hui citoyen américain, et a changé son patronyme d’origine Kvint en Quint. Ce virtuose, qui joue sur le Stradivarius « Ruby » de 1708, ainsi nommé pour la teinte de son vernis, a enregistré pour plusieurs labels (Naxos, Elysium, Avanti…) de grands concertos du répertoire (Glazounov, Khatchaturian, Korngold, Tchaïkovski…), mais aussi un bon nombre de pages de Leonard Bernstein, John Corigliano, Lukas Foss, Ned Rorem, William Schuman ou Virgil Thomson, pour lesquelles il a été nommé plusieurs fois aux Grammy Awards. Il s’est laissé aussi tenter par l’aventure du théâtre et du cinéma ; il a notamment incarné le rôle d’un violoniste dans le film Downtown Express réalisé par David Grubin (2010). Le présent album, intitulé Milestones, terme qui désigne les bornes routières, ou encore la gestion de projets, peut se traduire par Jalons ; il propose trois œuvres de compositrices de notre temps en première gravure mondiale, dont l’une est de la main de sa mère Lora Kvint. Vient s’y ajouter un bref hommage à Florence Price, qui fut la première Afro-américaine à composer et à faire jouer une symphonie aux USA.
Philippe Quint explique que ces partitions, écrites à son intention, sont le reflet de son évolution artistique et le fruit d’une inspiration commune. Ces « jalons » sont, pour lui, une célébration de 40 ans de vie musicale et de trois décennies de carrière professionnelle. C’est avec le concerto de Lera Auerbach, première œuvre symphonique enregistrée de cette compositrice née en Oural, que s’ouvre le programme. Comme Philippe Quint, elle a quitté la Russie en 1991 pour suivre les cours de Joseph Kalichstein, pour le piano, et de Milton Babbit, pour la composition, à la Juilliard Schoool. Dans la notice, qu’elle signe elle-même, elle explique qu’à la demande du violoniste, qui est un ami, elle a écrit en 2000 une sonate dont la nature orchestrale était si évidente qu’elle a abouti en 2003 au présent concerto. L’écriture de Lera Auerbach se situe dans la tonalité, avec une palette de couleurs personnalisées. Les quatre mouvements du concerto se déclinent d’abord par un Grandioso au sein duquel les forces orchestrales, d’abord déchaînées, s’unissent à un violon rêveur et irréel, avant un Moderato, scherzo à la fois plein d’humour et de sarcasmes. Un Andante religioso se lit comme une prière en forme de passacaille, aux accents tragiques. Un Allegro incisif, que Lera Auerbach annonce comme une danse entre la vie et la mort, achève cette partition plaisante que le soliste enlève avec une franche conviction.
La compositrice britannique Errollyn Warren, originaire du Belize, royaume faisant partie du Commonwealth, a étudié notamment au King’s College de Londres. Depuis un an, elle est devenue « maître de musique » du roi Charles III. Son concerto pour violon date de 2024. Il est, d’après la note qu’elle a rédigée, lié au parcours de Philippe Quint : écho des cloches d’église de son enfance en Union soviétique dans un ésotérique Slow and mysterious initial, berceuse délicate chantée au jeune garçon par son grand-père dans le Lamentino, et, pour finir, nouvelle vie aux USA, évocatrice d’optimisme, dans le Cheeky and lively. Une partition pleine de séquences fortes, sensibles et expressives, que le violoniste s’approprie avec chaleur et émotion.
Philippe Quint a tenu à rendre hommage à sa mère, Lora Kvint, qui a beaucoup composé pour le théâtre, le cinéma et la télévision. Elle compte entre autres à son actif un opéra, une comédie musicale dont le thème est « Le comte de Monte-Cristo » et un oratorio sur des poèmes d'Evtouchenko. Sa Rhapsodie pour violon et piano de 2024, intitulée Odyssey et écrite à l’intention de son fils, s’inspire des aventures d’Ulysse décidé à partir en guerre contre Troie, alors que son épouse Pénélope l’incite à rester avec elle. On y entend en filigrane toutes les embûches qui vont bousculer le périple du roi d’Ithaque.
L’album se conclut par la brève Adoration (1951) de Florence Price, initialement destinée à l’orgue, mais arrangée pour violon et piano. En 2023, Randall Goosby, avec l’Orchestre de Philadelphie dirigé par Yannick Nézet-Séguin (Decca), en avait donné une version dans un programme où l’on trouvait aussi deux concertos pour violon de Florence Price. Philippe Quint joue la carte de l’émotion, caractéristique qui traverse d’ailleurs tout cet album original. Le parcours bénéficie du compagnonnage du Royal Scottish National Orchestra, mené avec souplesse par Andrew Litton, qui est aussi le partenaire attentif de Philippe Quint dans les pages de Lora Kvint et Florence Price.
Voilà un bel hommage rendu à la composition féminine de notre temps ; ce sont d’intéressants apports à la littérature violonistique, gravés dans un contexte soigné, investi avec une profonde conviction. De quoi réserver des moments de découverte aux amateurs de raretés.
Son : 8,5 Notice : 9 Répertoire : 9 Interprétation : 10
Jean Lacroix