Récital de tardifs airs de cour, prêté au salon de la Marquise de Rambouillet

par

La Chambre bleue. Robert De Visée (c1650-ap1732) : Prélude, Passacaille en ré mineur ; Prélude, Sarabande en ut mineur ; Prélude, Allemande, Chaconne en la mineur ; Allemande La Conversation ; Rondeau La Mascarade. Sébastien Le Camus (1610-1677) : Amour, cruel Amour ; Que j’aime encore ce beau séjour ; Je passais de tranquilles jours ; On n’aime plus dans ces bocages ; Laissez durer la nuit. Michel Lambert (1610-1696) : Ombre de mon amant. Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) : Tristes Déserts ; Ah, laissez-moi rêver ; Celle qui fait tout mon tourment ; Sans frayeur dans ce bois. Deborah Cachet, soprano. Sofie Vanden Eynde, théorbe. Juillet 2022. Livret en anglais, français, allemande ; paroles et traduction en anglais. TT 58’27. Passacaille PAS 1097

Sur la couverture du livret, le tableau de Francois-Hippolyte Debon (1807-1872) plante le décor, au cœur de Paris, rue Saint-Thomas du Louvre. En son hôtel, détruit au XIXe siècle, qui se situerait aujourd’hui entre le Carrousel et le Palais-Royal, aménagé selon ses plans, la Marquise de Rambouillet fut « la première qui s'est avisée de faire peindre une chambre d'autre couleur que de rouge ou de tanné ; et c'est ce qui a donné à sa grande chambre le nom de la chambre bleue », observait Tallemant des Réaux. C’est là que Catherine de Vivonne (1588-1665) pendant une soixantaine d’années recevra une élite politique et artistique, modèle de salons littéraires qui fleurirent dans la capitale au milieu du XVIIe siècle, et qui en leurs dérives furent parodiés par Molière dans ses Précieuses Ridicules. L’apogée de ce cénacle coïncida avec le ministère du Cardinal de Richelieu. On s’y reposait des intrigues de cour et on s’y soustrayait à ses grossièretés, on se piquait de surnoms recherchés, on y débattait de littérature, et de la langue. Des habitués comme François de Malherbe, le Duc de La Rochefoucauld et Claude Favre de Vaugelas laissent entrevoir le niveau des discussions. La plume galante et mondaine du poète et épistolier Vincent Voiture situe ce que Voltaire distinguera entre l’usage et l’abus du bel esprit. Au fil des ans, l’érudition déclina en sophistication, expressions artificieuses, cocasses querelles de lexique, prêtant le flanc à la caricature, celle d’une « troupe folâtre de jeunes femmes et de jeunes gens, qui, par la quantité de plumes et de rubans dont ils étaient chargés, ressemblaient à un parterre de fleurs, dont les couleurs vives et variées éclataient dans l'ombre », si deux siècles plus tard l’on en croit Charles Athanase Walckenaer en ses Mémoires touchant la vie et les écrits de Madame de Sévigné. « Le jeu inutile et sans cause d’un oisif à l’esprit agile et à l’imagination féconde, se plaisant dans une création de luxe », selon la célèbre formule qui pour René Bray résume la préciosité.

« Deux musiciennes recréent les couleurs de ces gracieuses Précieuses : prenez aise dans des tonalités qui, comme les mots, habillent la vérité de voiles de satin bleu clair » avance le dos du digipack (nous traduisons). En sus de ce pitch mielleux, pourquoi cet album ne dit-il un traître mot de ce cénacle de la « chambre bleue » ?, foyer d’épuration des manières et de la politesse, que le programme prend comme alcôve d’un récital voué à une tardive floraison de l’air de cour, un genre hérité du règne de Louis XIII. Le label Passacaille nous avait habitués à des notices mieux troussées. On aurait aimé que le prétexte fût mieux explicité, et aussi que les œuvres fussent sourcées, que le théorbe qui les accompagne fût présenté, qu’une note d’intention légitimât la sélection des œuvres… 

En l’occurrence, l’anthologie puise au catalogue de trois de ses représentants parmi les plus appréciés dans les aristocratiques ruelles, -Michel Lambert n’étant convié que pour Ombre de mon amant, malgré les quelque 350 airs qu’on lui connait. Le gambiste Le Camus est mieux servi, avec cinq airs de sentiments variés, des plus graciles aux plus ardents. Plus inattendu dans ce répertoire profane, Marc-Antoine Charpentier apparaît à la faveur des H. 441, 450, 467, 469, dont Tristes Déserts, sombre retraite qui voilà quarante ans nous émouvait dans un vinyle du regretté Henri Ledroit (Ricercar), et qui dans la voix de la soprano belge nous éblouit ici comme d’un soleil agonisant, au prix d’une projection vocale un peu tirée. Notons l’ingénieuse stylisation prêtée à Celle qui fait tout mon tourment

De charnus tremblements en habiles ports de voix, Deborah Cachet place ses ornements sur une voix ample, opulente et claire qui, pour l’intelligence de la langue, flatte davantage la suavité mélodique (parfois très coulée, Sans frayeur dans ce bois) que la sobriété du mot. La diction manquerait moins de volume que d’impact et de contraste, enveloppant le drapé dans une lumière de zénith. En son premier disque solo, on n’accusera pas la chanteuse de détourner les textes par un drame hors-de-propos. Tout en évitant salutairement l’écueil de la faloterie décorative que concédait Marin Mersenne, -« Il faut avoüer que les accents des passions manquent le plus souvent aux Airs françois parce que nos chants se contentent de chatouiller l’oreille & de plaire par leur mignardise ». 

Moins convaincant est le soutien timidement articulé et parcimonieusement teinté par Sofie Vanden Eynde, qui de ses cordes atones tire cinquante nuances de gris-trottoir. Le récital s’entretoise à une série de danses empruntées à Robert de Visée dont Pascal Monteilheit (Virgin), incomparablement imaginatif et éloquent, obtenait une toute autre élégance. À entendre la théorbiste, qu’on croirait pauvrement inspirée, même le théâtre de La Mascarade s’emboit dans une trituration neurasthénique. L’acoustique réverbérée de la Kapel Terhaegen de Gand est-elle celle que l’on envisagerait pour ces mélodies que le projet de CD investit dans les fertiles appartements parisiens ? Si l’on en a rappelé le cadre et les enjeux esthétiques dans notre premier paragraphe, c’est aussi car l’on peut douter que l’ennui poli, certes pas étranger à cette forme historique de monodie qui en cinquante-huit minutes finit par lasser, s’identifie vraiment au fort tempérament d’Arthénice, la « grande marquise », et aux jeux d’esprit qui bourdonnaient dans l’azur de sa chambre. 

Son : 8 – Livret : 8 – Répertoire : 8 – Interprétation : 4 à 8,5

Christophe Steyne

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