Réédition bienvenue d’un récital Alkan de Pierre Reach 

par

Charles-Valentin Alkan (1813-1888) : Grande Sonate «Les Quatre Ages», Op. 33 ; Sonatine, Op. 61.  Pierre Reach, piano. 1991.  Textes de présentation en français et anglais. 58’05’’. Anima Records ANM/250301.

Charles-Valentin Alkan (1813-1888) est de ces compositeurs inclassables qu’on mentionne de temps en temps en mentionnant l’originalité de sa musique et la terrifiante difficulté de l’exécution de ses œuvres. 

Enfant prodige, virtuose exceptionnel mais homme réservé voire misanthrope, il ne se produisait que sporadiquement en public. Ami de Chopin dont il reprit une bonne partie des élèves à la mort de ce dernier, admiré par Liszt et Schumann, on ne l’entend pour ainsi dire jamais sur nos scènes. Si le disque ne l’a pas totalement ignoré, on ne peut pas dire non plus qu’il y soit très représenté.

Raison de plus donc pour saluer cette réédition d’un ambitieux programme enregistré en 1991 déjà par le pianiste français Pierre Reach, artiste qui mérite d’ores et déjà notre estime pour s’être attaqué à ce programme terriblement exigeant.

Composée en 1847, la Grande Sonate est en quatre mouvements dont chacun décrit un âge de la vie. C’est ainsi que le premier mouvement « 20 ans », est un torrentiel et fiévreux galop,  évocation d’une jeunesse ardente et passionnée. Même si Alkan est proprement inclassable, certains passages rappellent Liszt, Berlioz, Schubert, voire Offenbach. Il faut ici admirer le pianiste qui domine admirablement la partition et tricote comme un forcené sans jamais se crisper. 

On passe à une tout autre dimension dans le deuxième mouvement intitulé « 30 ans,  Quasi Faust ». Long d’un quart d’heure, il montre Alkan en prédécesseur du Liszt de la Sonate et la Faust-Symphonie, et met en scène les personnages de la tragédie de Goethe. Alkan fait preuve ici de sérieux et de vraie profondeur, et la douceur des passages évoquant Marguerite -et on retrouve quelque chose de Liszt et de Chopin dans ces beaux épisodes réfléchis- alterne avec le pianisme terriblement exigeant que demande l’incarnation des protagonistes masculins. Alkan montre ici à la fois sa science de la composition comme sa connaissance des ressources de l’instrument dans son intéressant usage des registres extrêmes du piano. L’exaltée conclusion du mouvement n’est pas exactement un modèle de retenue dans cette musique qui, par son esprit plus que par son langage musical, semble annoncer les tourments d’un Scriabine. 

On en arrive à « 40 ans. Un heureux ménage », où le héros a enfin trouvé l’équilibre dans un doux bonheur conjugal et familial. Cette musique harmonieuse mais jamais douceâtre fait beaucoup penser à Mendelssohn, mais aussi à certains Impromptus de Schubert ou Nocturnes de Chopin. Elle exige une belle égalité de toucher et une maîtrise du jeux d’accords de l’interprète. Inutile de dire que Pierre Reach se montre parfaitement à la hauteur de la tâche. 

On appréciera vers la fin ce choral qui marque la fin de la journée et la prière en commun des parents et enfants avant que ne vienne l’heure du coucher.

Et cette oeuvre hors-catégorie se conclut par « 50 ans. Prométhée enchaîné ». Ici, le protagoniste ploie sous le poids d’un destin tragique. Alkan évoque remarquablement la lassitude et de la résignation d’un personnage épuisé par une lutte vaine face à un destin aveugle. On appréciera la remarquable imagination harmonique de l’auteur et l’impavide virtuosité du pianiste.

Que penser de cette pièce vraiment hors-normes ? Disons que sans être un chef-d’oeuvre de premier plan, elle est néanmoins beaucoup plus qu’une simple curiosité.

Evoquant la Sonatine, Op. 61, le très original compositeur et reclus volontaire britannique Sorabji écrivait en 1932 avec beaucoup d’esprit qu’on avait ici l’impression que Berlioz s’était attelé à composer une sonate de Beethoven.

L’oeuvre est en quatre mouvements, et commence par un Allegro vivace où le rappel à la tradition viennoise (l’esprit de Haydn, le côté rugueux de Beethoven) se trouve mâtiné de virtuosité romantique pour largement déborder du cadre classique.

Suite un calme Allegramente qui évoque à nouveau Schubert et Chopin, mais régulièrement  interrompu par quelques coups de boutoir dont Brigitte François-Sappey estime dans la notice qu’ils annoncent Chabrier. Le tout est énoncé avec beaucoup de clarté et de finesse par Pierre Reach.

Le Scherzo-Minuetto est une espèce de mouvement perpétuel à la virtuosité rossinienne avec en son milieu un Trio à la douceur champêtre et comportant en plus choral.

Le Finale est à la fois sérieux, obstiné et dramatique , et évoque beaucoup Schubert tout à la fois dans ses passages ludiques que dans ses pages les plus sombres où l’ombre de Beethoven est également présente.

 Remarquablement défendue par un  interprète aussi virtuose qu’engagé, cette musique si originale et personnelle ne plaira peut-être pas à tout le monde mais mérite certainement d’être entendue. 

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 9 - Interprétation 10

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