Superbe résurrection de deux Messes anonymes de la Renaissance
Missa Gross senen/Missa L’ardant desir. Cut Circle (Sonja DuToit Tengblad - superius, Jonas Budris - altus, Bradford Gleim - ténor, Paul MaxTipton - basse)/Jesse Rodin (direction). 2021. Textes de présentation en français, anglais, néerlandais et allemand. 69’45. Musique en Wallonie - MEW 2097
On pourrait de prime abord penser que cette nouvelle parution de Musique en Wallonie nous offrant la première gravure de deux messes anonymes composées dans le dernier tiers du 15e siècle ne s’adresse qu’à un public de connaisseurs, gagnés d’avance à la cause de la riche polyphonie de la Renaissance dans nos régions. Mais ce serait faire peu de cas de tout ce que la musicologie contemporaine -heureusement relayée par des ensembles toujours mieux rompus aux exigences de la musique de l’époque- a fait pour faire connaître ce répertoire en extrayant des trésors cachés sous la poussière des bibliothèques, en publiant des éditions correctes de sorte à permettre à toujours plus de formations de faire connaître ces chefs-d’oeuvre de la polyphonie à un public toujours plus nombreux et intéressé.
Alors que ces musiques sacrées -destinées l’époque de leur composition à des chanteurs professionnels de haut niveau- sont généralement interprétées par des formations réduites, c’est un parti pris radical mais crédible que retient le chef Jesse Rodin qui, outre son magnifique travail à la tête de l’excellent ensemble américain Cut Circle, a joué un rôle actif dans l’exhumation et l’édition de ces deux Messes (la première conservée à Trente, la seconde au Vatican), à commencer par la correction des erreurs des copistes de l’époque. En effet, les interprètes optent ici pour le minimum absolu, soit une voix par partie. Contrairement aux craintes qu’on aurait pu avoir, l’approche retenue se révèle extrêmement convaincante, assurant une lisibilité parfaite de la polyphonie qui sonne avec une étonnante richesse qu’on n’aurait pas attendue de la part d’un simple quatuor vocal.
Ce n’est pas sans raison que Jesse Rodin intitule son texte de présentation aussi érudit que passionnant « Deux Messes difficiles », car les exigences posées aux interprètes sont redoutables. Si le chef joue ici un rôle essentiel, il a la chance de pouvoir compter sur quatre chanteurs dont la virtuosité confondante -justesse absolue, précision rythmique infaillible, équilibre des voix parfait- domine avec une aisance stupéfiante les nombreuses exigences posées par ces partitions dues à deux auteurs dont les noms ne nous sont pas parvenus mais qui étaient de véritables maîtres issus de l’Europe du Nord, plus que probablement des Pays-Bas méridionaux.
Rodin n’hésite d’ailleurs pas à affirmer -et on ne peut lui donner tort- que la qualité de ces oeuvres qui font l’objet de cette première discographique peut se comparer aux productions des plus grand maîtres de l’époque tels que Dufay et Busnois.
Heureusement, les redoutables complications de l’écriture de ne débouchent à aucun moment sur une restitution laborieuse ou prudente. Au contraire, les exécutions offertes ici frappent par leur naturel et leur parti pris de beauté vocale qui évite les timbres volontairement plus rauques de formations comme l’ensemble Organum ou Graindelavoix. Mais on ne trouvera pas non plus de langueurs angéliques, ni rien de compassé ou de « liturgique » dans des interprétations où la vie affleure à chaque note, que ce soit dans de belles pages simples et sereines ou d’autres à l’affolante complexité rythmique.
Le paradoxe de ces interprétations d’une exceptionnelle qualité de partitions riches et complexes est que, pour être exigeante pour les exécutants, la musique est un enchantement permanent pour l’auditeur.
Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10
Patrice Lieberman