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Le festival Pianopolis à Angers : des générations d’âmes au clavier 

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Le festival Pianopolis a eu lieu du 27 mai au 1er juin. Pour cette troisième édition, deux temps particulièrement forts ont été offerts par deux femmes appartenant à deux générations éloignées : Elisso Virsaladze et Arielle Beck.

Récirtal d’Elisso Virsaladze : une leçon de piano

Le vendredi 30 mai, Elisso Virsaladze, née en 1942, qui a joué dans les salles les plus prestigieuses du monde, donnait son premier récital aux Greniers Saint-Jean d’Angers. Son art, unique, est tout un monde et impose le respect. Tout au long de la soirée en compagnie de Chopin, nous sommes frappés par ses rubatos extrêmement ondoyants, dans des mesures qui restent absolument rigoureuses. Ces mouvements subtils surprennent parfois par leurs originalités rythmiques ; ils sont si prodigieux qu’on se dit sans réserve qu’elle est peut-être la seule capable de produire de telles merveilles. Deuxième miracle : le son compact. À l’intérieur d’une dynamique très restreinte, elle exprime toutes les nuances que la partition exige. Ainsi, une montée vers une nouvelle section — notamment vers le début de la longue coda dans la Polonaise-Fantaisie ou de la Sonate n° 3 — ne débouche pas sur une explosion libératrice, mais la musique reste retenue en un certain sens, laissant à l’auditeur le soin d’entendre sa propre nuance. Dans la Troisième Sonate, sous ses doigts, plusieurs voix s’entrelacent et tissent une polyphonie aussi parfaite que celle de Bach, notamment dans la partie médiane du scherzo. Il s’agit d’une élaboration constante de la musique qui se déroule en direct, comme si elle se créait à nos oreilles. Les Nocturnes, Mazurkas et Valses suscitent la même sensation, avec un rubato encore plus mis en évidence. Les « refrains » de la Grande Valse op. 42 sont prodigieux d’agilité, de légèreté et de nuances. Chez elle, aucun pathos, aucun romantisme exacerbé, et pourtant, chacun les ressent intérieurement, guidé par la force de la musique — celle de Chopin, mais aussi celle qu’Elisso Virsaladze nous transmet à travers lui. Quelle leçon de piano !

Arielle Beck, jeunesse et maturité

Le lendemain, en fin d’après-midi, Arielle Beck, 16 ans, nous confirme que la maturité musicale n’est pas une question d’âge. Son programme — la Suite anglaise n° 2 de Bach, la Sonate en la mineur D. 784 de Schubert, la Première Sonate en fa dièse mineur op. 11 de Schumann — exige un sens de la construction et de la synthèse dont elle fait preuve avec une efficacité redoutable. Chaque pièce de la Suite anglaise est parfaitement bien cadrée dans son propre style, interprétée avec une rigueur admirable, même si elle ne laisse pas encore beaucoup de place à la fantaisie. Son Schubert est tout aussi solidement construit, chaque mouvement étant joué dans un tempo adéquat. Si l’expression de l’éternité et de l’intériorité propres à la musique du compositeur est encore à venir, Beck sait déjà mettre en avant la notion de temps suspendu, et celle du chant, si essentiels chez Schubert. À travers la Sonate de Schumann, elle fait montre d’une rigueur d’architecte. Telle une façade ou un intérieur contrasté par des éléments variés savamment introduits, elle exprime la douceur ici, la passion là, où l'inquiétude à un autre endroit. Bref, elle entre aisément dans le langage schumannien, fait d’oscillations d’humeur. Après un tel programme, la pianiste joue en bis les Variations sérieuses de Mendelssohn, avec une maîtrise ahurissante de précision et de structure. Là encore, son sens de la construction fait merveille : la longue montée vers la fin, avec une accalmie chorale au milieu, puis le retombé final, exprimant une sorte d’introspection après tant d’agitation… Tout y est mis en place avec une intelligence stupéfiante, rendant cette œuvre le sommet de la soirée.

Astrig Siranossian : Duo Solo

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La violoncelliste Astrig Siranossian fait paraître un album intitulé “Duo Solo”. La jeune musicienne fait dialoguer des œuvres mythiques pour violoncelle de Bach,  Kodály et Ligeti avec des mélodies traditionnelles arméniennes. Astrig Siranossian est évidemment la soliste au violoncelle mais elle interprète également les mélodies traditionnelles. Crescendo Magazine a souhaité en savoir plus et s’entretient avec la musicienne.  

Votre nouvel album se nomme “Duo Solo” et propose des grands classiques de la littérature pour violoncelle solo avec des chansons traditionnelles arméniennes. Comment avez-vous conçu ce projet ? 

J'ai conçu cet album "Duo Solo" à travers un programme de concert en violoncelle solo que je voulais le plus fidèle à la musique que je joue et la musique qui, finalement, me représente le plus, à savoir la mélodie populaire arménienne, qui fait tout autant partie de mon ADN musical que les suites pour violoncelles de Bach. Le violoncelle et la voix ont toujours été un moyen d'expression et, au fil des années, à force de partager sur scène ce programme, j'ai enfin voulu le graver sur disque, poussée notamment par tous les temps de confinement qui m'ont amenée à passer plus de temps seule avec mon violoncelle, et à explorer ainsi tout son répertoire. 

Est-ce que ces chansons arméniennes, dont vous nous expliquez la transmission par votre famille, ont une portée personnelle encore plus importante dans le contexte international actuel ? 

Ce qui est très émouvant pour moi, c'est que les mélodies populaires sont vraiment une extension de la langue arménienne. En effet, c'est une culture qui est très attachée à la musique : dans la très grande majorité des foyers, les enfants jouent du piano, du violon, du violoncelle et chantent.  La musique populaire est ainsi très présente. La transmission de la musique est donc un moyen de préserver ce patrimoine. Je ne l'avais jamais vraiment vu en danger jusqu'à la guerre des 44 jours qui a eu lieu en 2020 en Arménie, et évidemment récemment en 2022. L'urgence de préserver culturellement l'histoire et toute la civilisation liée à l'Arménie est devenue très importante. Mais je tiens à préciser bien entendu que ce projet n'est pas un geste politique, et que la seule raison pour laquelle je le fais est simplement parce que cette musique est une musique qui me permet d'être entière face au public.