Mots-clé : Carlo Bosi

Tosca fortissimo à l’Opéra de Paris 

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La mise en scène de Pierre Audi a traversé les années avec une vaillance qui n’en a supprimé ni les qualités, ni les défauts : parfaite lisibilité de l’intrigue, premier acte confiné dans un soubassement, second acte dramatiquement efficace, dernier acte fantomatique et costumes fidèles à l’époque. Le thème de la croix est traité de façon austère, aussi loin de la piété mariale démonstrative de l’héroïne que des traditions latines. 

Le succès de cette série de représentations données à guichet fermé s’explique par de prestigieuses distributions. Si Roberto Alagna, au tournant de la soixantaine, a déjà fait applaudir le peintre rebelle, la seconde distribution avec le baryton Ludovic Tézier (Scarpia), le ténor Jonas Kaufmann (Mario Cavaradossi) et la soprano Saioa Hernandez (Floria Tosca) était très attendue.  

Le baryton français au sommet de ses moyens prête sa stature massive au tyran ; il y ajoute une noirceur et une brutalité dans l’abjection qui lui valent une ovation finale méritée. De la même génération que Roberto Alagna, le ténor bavarois Jonas Kaufmann, a su conquérir depuis plus de trente ans les scènes lyriques du monde entier grâce à un art de la demi-teinte porté par une admirable musicalité. Si ses premières interventions traduisent plutôt la bravoure ironique du héros de Puccini, le troisième acte avec le fameux « Lucivan le stelle » puis, surtout, « A dolci mani » libère des accents de la plus caressante douceur. Hélas, vents et cordes se décalent tandis que la direction d’ Oksana Lyniv, en défaut d’empathie, laisse couvrir le chanteur. 

Turandot des grands soirs à l’Opéra de Paris

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Il est de ces moments magiques où l’opéra est ce qu’il doit être : union des arts, poésie, chant, lumières, musique, décor. La mise en scène de Robert Wilson, créée en 2018 à Madrid et en 2021 à Paris, aurait pu ressembler à toutes celles qu’il a signées depuis plus de 50 ans. La stylisation, le raffinement esthétique (armures antiques) charment naturellement l’œil mais il se passe quelque chose de plus.

Chaque attitude, variation d’intensité lumineuse, apparition ou éloignement des protagonistes, occupant l’espace scénique dans sa triple dimension, prend un sens précis et exprime une émotion. Ce qui était moins évident il y a trois ans : la scène « joue » littéralement la partition en osmose avec l’orchestre.

A la tête d’une formation nationale très en verve, le chef Marco Armiliato, sollicité sur les scènes les plus prestigieuses, livre ici une lecture aussi limpide que vivante du testament inachevé de Puccini. D’un geste sensible, d’une battue enlevée, il s’attache à mettre en valeur les subtilités et les audaces d’une orchestration qui faisaient jubiler Ravel, tout en dessinant de grandes orbes dramatiques parfaitement conduites.

L’attention aux chanteurs atteint une telle intensité que le public, sous le coup de l’émotion, semble parfois s’arrêter de respirer. Ainsi de l’intervention de Liu (Ermonela Jaho aux « messa di voce » sur le fil de la voix) lorsqu’elle commence tout en douceur son aria du premier acte Signore ascolta puis se sacrifie au dernier.

Turandot grandiose et pétrifiée sous les lumières de Robert Wilson

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Il rêvait de « roses et d’amour », d’un grand opéra exotique « sorte de Saint Graal chinois ». Mais Giacomo Puccini s’interrompit à jamais, six mesures d’orchestre après le cortège funéraire de Liù, la petite esclave sacrifiée, « Liù bontà… perdona... Poesia ». C’est dans cette version inachevée que fut créée, sous la baguette de Toscanini en 1926, la dernière œuvre de l’auteur de Manon Lescaut, Bohème, Tosca, Butterfly, Gianni Schicchi entre autres chefs-d’œuvre. Les compositeurs Franco Alfano, choisi ici, et Luciano Berio ont ensuite complété la fin de l’acte III.

Dans les faits, le destin voulut que la grande fusion amoureuse païenne entre Turandot et Calaf d’inspiration wagnérienne n’eût jamais lieu et cède le dernier mot à la fragile Liù. Aussi est-il permis de penser que la partition se suffit à elle-même et que Toscanini avait raison.

Sa richesse musicale frappe par les multiples influences qui s’y mélangent, prouvant l’intérêt de ce grand amateur de bolides pour son époque en même temps que la fidélité à sa terre natale. Ainsi de l’introduction de personnages bouffes de la commedia dell’arte (Ping, Pang, Pong) ou de la réflexion sur le mouvement (La Valse de Ravel comme les Ballets russes y font déjà allusion). Quant au Rossignol de Stravinsky qui met en scène un Empereur de Chine préférant à l’oiseau chanteur bien vivant, un rossignol mécanique, il est créé le 29 mai 1914 à l’Opéra de Paris, sept années avant la composition de Turandot.

L’attrait de l’exotisme, également, décuplé par les Expositions Universelles de 1889 et 1890 fascine Claude Debussy et toute l’avant-garde française tandis que Puccini va en renouveler l’approche d’une manière très personnelle avec Turandot, légende chinoise rêvée par le dramaturge vénitien Carlo Gozzi (1720-1806).

 A l’opposé de ce caractère composite, la stylisation monumentale de Robert Wilson (reprise de celle crée à Madrid en 2018) ses éclairages architecturés, une vidéo minimaliste, la gestuelle tour à tour statique ou saccadée, les costumes taillés au laser (excepté le retour consternant du complet-veston pour le trio comique) s’impose en bloc. Les tableaux sont puissants, ils captivent, monopolisent l’attention au point de figer l’imagination et d’engendrer une forme d’ennui.

Gustavo Dudamel qui fait ses débuts -très attendus et applaudis- à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Paris, prend des options identiques. Ainsi, dès la première mesure, la puissance déferle, saturée de couleurs, érodant reliefs et aspérités.