Interviews
Le torchon serait-il en train de brûler au sein du Belgian National Orchestra (BNO) ? On pourrait le penser, au regard des démêlés judiciaires qui opposent, depuis quelque temps déjà, plusieurs membres de l’orchestre à leur employeur. En cause, la participation des musiciens aux profits résultant de l’exploitation de leurs prestations. Si le conflit n’est pas nouveau, il revient sous les feux de la rampe, suite à un arrêt récent du Conseil d’État.
Prélude dans le mode mineur
En leur qualité d’artistes interprètes ou exécutants, les membres du personnel artistique du BNO bénéficient de ce qu’il est convenu d’appeler des “droits voisins du droit d’auteur”. À ce titre, ils jouissent notamment du droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction et la communication au public de leurs prestations, ainsi que la distribution de supports physiques incorporant celles-ci. Dès lors, le BNO ne peut diffuser leurs prestations, ni permettre à des tiers de le faire, sous quelque forme que ce soit, à moins d’avoir obtenu des musiciens une licence ou une cession de leurs droits voisins à cet effet.
Jusque 2016, des accords individuels entre l’orchestre et ses membres régissaient cette question. Mais en 2016, le BNO a tenté de régler la problématique au moyen d’une convention collective, qui s’appliquerait indistinctement à l’ensemble de son personnel artistique. En 2020, aucun compromis n’ayant pu être trouvé avec les syndicats, 32 musiciens ont obtenu du tribunal de première instance de Bruxelles qu’il soit fait interdiction à le BNO de reproduire, communiquer au public et distribuer leurs prestations via différentes plateformes. Dos au mur, le BNO a alors invité le gouvernement belge à s’emparer du conflit et à y mettre un terme manu militari. Un arrêté royal “relatif aux droits voisins du personnel artistique de l'Orchestre national de Belgique” est adopté le 1er juin 2021. Il est publié et entre en vigueur trois jours plus tard, le 4 juin 2021.
Le chef d’orchestre Rémy Ballot est reconnu pour son travail au service de l'œuvre d’Anton Bruckner. Alors qu’il vient d’être primé par l’American Bruckner Society, le label Gramola fait paraître en coffret son intégrale des symphonies enregistrée au concert dans le cadre de la basilique St Florian (Gramola). A ces occasions et en prélude à l’année Bruckner 2024, Crescendo Magazine s’entretient avec ce musicien.
Qu’est-ce qui vous a, en tant que musicien né en France, orienté vers Bruckner au point d’enregistrer ses symphonies ? Ce compositeur n’est pourtant pas celui que l’on associe le plus à l’esprit français ?
On pourrait dire que pour les Autrichiens, c‘est une musique typiquement „Autrichienne“. Dans la région de Haute-Autriche par exemple, elle coule tout particulièrement dans leur veine !
J’ai découvert Bruckner à travers Celibidache, lorsque j’étudiais avec lui à Paris. Encore étudiant, j’ai voulu très vite me confronter avec ce compositeur et décidai avec mon orchestre parisien de l’époque, l’orchestre FAE (Frei aber einsam), de jouer une version du Quintette à cordes pour orchestre, ne pouvant bien sûr pas réunir l’effectif pour une grande symphonie. J’aurais bien évidemment rêvé de diriger la 8ème ou la 9ème à l’époque ! C’était en 1999…il m’a fallu attendre jusqu’en 2011 pour que je puisse diriger la 4ème pour la première fois. Par ailleurs, ma première invitation de l’intendant des Brucknertage Klaus Laczika, qui découvrit, par d’heureux hasards, mon affinité pour Bruckner à l’écoute de l’enregistrement du “quintette parisien” de mes débuts. Correspondant très fortement à ses idéaux et critères musicaux, il tenait absolument à me voir au pupitre dans son Festival. Puis à partir de 2013 -Dennis Russell Davies ayant dirigé l’édition 2012- est née l’idée d’un cycle des symphonies après le succès tout particulier de la 3ème symphonie dans sa version originale. L’enregistrement du concert était au départ uniquement destiné au archives du Festival. Richard Winter, producteur du label viennois Gramola, fut conquis et décida de le publier. A ma grande joie et surprise, le disque a été primé par la presse. Sur ce modèle s’est construit peu à peu le cycle de manière organique. Par le fruit du hasard…
Quelle est, pour vous, la place de Bruckner dans l’Histoire de la musique ?
Il est pour moi l’aboutissement de l’art symphonique et une sorte de synthèse des courants musicaux constituants l’histoire de la musique jusqu’à lui. Dans la tradition beethovénienne, bien évidemment augmentées, ses symphonies renferment un grand nombre d’influences tels que le grégorien, Palestrina, le contrepoint d’un Bach, le folklore autrichien, des harmonies wagnériennes etc. Mahler ou Sibelius pour ne citer qu’eux, se sont fortement inspirés de ses symphonies. Sans Bruckner, l’histoire de la symphonie n’aurait pas eu le même développement au XXe siècle.
D’un certain point de vue, même si l’on peut retrouver ses racines, Bruckner reste un phénomène à part dans l’histoire de la musique et son style est presque intemporel. „Un gothique perdu au 19ème siècle“ disaient certains. Pour moi, il n’appartient en définitive à aucune lignée. Et, un fait intéressant, il n’a pas composé d’opéra ou de concertos.Tous ces aspects peuvent le rendre sans doute „hermétique“ pour certains. Il a transcendé le temps et l’espace tout en gardant le principe de la rhétorique formelle des classiques viennois.