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La Bohème à Bastille : retour de l’opéra space 

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L’Opéra de Paris lève le rideau de la saison lyrique 2025/2026 sur la pièce en quatre tableaux de Puccini, créée en 1896. La mise en scène spatiale signée Claus Guth nous embarque pour quelques heures de beau spectacle, sans grande surprise en vol.

La Bohème version astronaute, hier si controversée, revient dans l’orbite de l’Opéra de Paris. Décollage et alunissage se font cette fois en douceur, et si l’opéra revisité de Puccini ne transcende pas son public, il lui garantit au moins, avec ce sens de l’épure, et cette vision spatiale saisissante tout droit sortie de l’imagination de Claus Guth, un voyage esthétique léché. Saluons donc de nouveau la qualité des décors (Etienne Pluss) et des costumes (Eva Dessecker), accueillis au début des premier et troisième tableaux par des murmures admiratifs. 

L’équipage se montre à la hauteur de la pièce, mais sans emphase. Le ténor Charles Castronovo est un Rodolfo touchant, mais à l’expression parfois fermée, et la puissance assez irrégulière. L’orchestre, sous la direction de Domingo Hindoyan, le recouvre plus d’une fois, et notamment sur le magnifique « Che gelida manina! » et lors de la conclusion du troisième tableau. La soprane Nicole Car (Mimi), nous laisse elle aussi un peu sur notre faim : quoique puissante, et virtuose dans ses aigus (notamment dans le très délicat « Si. Mi chiamano Mimi », ou plus tard, « Speravo di trovarti qui » et « Sono andati? »), la chanteuse offre une expressivité un peu trop contenue et égale, qui contraste avec son fort vibrato. 

Ce sont paradoxalement les deux « principaux » personnages secondaires, Marcello et Musetta, qui auront le plus retenu notre attention. Marcello (Etienne Dupuis) se démarque par des interventions chaudes, rondes et amples, au vibrato bien dosé – une grande aisance de baryton qui transparaît tout au long de l’opéra. Musetta (Andrea Carroll) soigne elle aussi ses apparitions. Son air « Quando men vo soletta » plante le décor : une grande aisance vocale, une virtuosité de phrasé, et un vibrato équilibré, là aussi. Les interventions de la soprane sont rafraîchissantes, précises et éclatantes. 

À Angers, les 1001 nuits de l’ONPL

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Chef principal de l’Orchestre Philharmonique de Liverpool et directeur musical de l’Opéra de Los Angeles à partir de la saison prochaine, le chef d’orchestre vénézuélien Domingo Hindoyan a fait une halte très remarquée cette semaine à Angers et à Nantes pour le dernier concert de la saison de l’Orchestre National des Pays de la Loire dans un programme propre à exalter sons sens du rythme et de la couleur.

Ce qui frappe d’emblée à la sortie de ce concert exceptionnel, c’est la capacité qu’ont certains chefs à modifier considérablement le profil sonore d’un orchestre en quelques répétitions seulement. Sous la baguette chaleureuse, convaincante et précise de Domingo Hindoyan, l’ONPL a acquis une profondeur insoupçonnée du pupitre des cordes, avec un sens du legato idéal et une puissance décuplée pour la totalité de l’orchestre.

La soirée a démarré sur les chapeaux de roues avec Fandangos, une pièce du compositeur portoricain Roberto Sierra résultant d’une commande de l’Orchestre Symphonique de Washington qui l’a créée en 2001. Sierra s’est, en quelque sorte, emparé du célèbre Fandango du Padre Antonio Soler pour lui tailler un habit propre aux grandes formations symphoniques d’aujourd’hui en mêlant assez habilement les rythmes populaires avec des clusters proches des séquences aléatoires fréquemment utilisées en Europe dans la musique des années 1970, le tout culminant dans une sorte d’accumulation instrumentale frénétique faisant penser à la fin du Boléro de Ravel. Une entrée en matière royale pour Domingo Hindoyan qui a bâti une puissance grandiose à la tête d’un ONPL visiblement conquis par son hôte.

On se demandait ce que pouvait bien faire le magistral Gloria de Francis Poulenc au milieu de ce programme après un tel déferlement sonore et avant la magie instrumentale de Rimski-Korsakov attendue en seconde partie. Menée tambour-battant par un Domingo Hindoyan survolté, l’oeuvre chorale de Poulenc sonnait d’une manière particulièrement frappante grâce à la participation du Chœur de l’ONPL magnifiquement préparé par Valérie Fayet. Par sa direction enjouée et son sens des demi-teintes, le chef a bien montré combien la vision mystique de Poulenc était finalement proche du monde profane et joyeux qui était celui de sa jeunesse baignée par la musique des Ballets russes. La puissance vocale des interventions de la soprano Melody Louledjian était en parfaite cohérence avec la volonté du compositeur qui souhaitait de grandes voix opératiques pour chanter sa musique.

Rigoletto à Bastille : clown triste, public heureux

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Le Rigoletto de Verdi par Claus Guth, donné ce dimanche 1er décembre à l’Opéra national de Paris, ne trompe pas son public. Il est sombre, familier et troublant à la fois. En quelques mots : c’est un petit bijou de mélodrame, serti dans un écrin … de carton. 

Oui, c’est bien au sein d’une boîte lisse marron qu’évoluent les pantins de la cour de Mantoue : une cage où se jouera le sort du bouffon Rigoletto (Roman Burdenko) et de sa fille Gilda (Rosa Feola), qui se laisse séduire par le libertin duc de Mantoue (Liparit Avetisyan). Les détails importent peu, les accessoires et décors sont réduits au minimum. Rien que quelques parois alvéolées -pour le reste, on se contentera de portes et d’étages imaginaires. Même la difformité caractéristique du personnage de Rigoletto est gommée. Le choix de l’épure pour insister sur l’essentiel : le vide des cœurs, la superficialité de cette population mondaine qui se fige et se meut artificiellement, et la violence des rapports qui lient les personnages. Mise en scène perturbante à dessein, qui joue de la réflexivité du propos, par des projections d’ombre ou d’images animées, mais aussi par l’usage de doubles : ainsi, un Rigoletto meurtri et vieilli (Henri Bernard Guizirian), sorte de Ferragus balzacien qui connaît déjà l’issue de cette histoire, erre sur le plateau comme au milieu de ses fatals souvenirs. Ce jeu de dédoublement, qui renforce le sentiment du tragique imminent, sera également appliqué au personnage de la fille, souvent accompagnée d’avatars plus jeunes. 

Le premier acte permet de se familiariser avec les rapports de force internes à la cour, puis de découvrir le point faible de ce bouffon royal qui se fait haïr de tous : sa fille Gilda, précieusement maintenue à l’abri du monde extérieur. Le duc parvient pourtant à l’approcher pour la séduire, et les ennemis de Rigoletto à l’enlever. S’il n’est pas le plus stimulant, ni le plus passionnant, ce premier acte comporte de beaux tableaux, rehaussés par un excellent casting. Quoique ténor, Liparit Avetisyan afficha d’emblée une voix grave riche et rebondie. Le comte de Monterone (Blake Denson), véritable Commandeur de la soirée, tonna avec brio lors de ses interventions. Citons aussi le tueur à gages Sparafucile (la voix de basse Goderdzi Janelidze) qui s’imposa dans un tableau de doppelgänger (« Quel vecchio maledivami ! ») par l’éclat de son timbre et la portée de sa voix, et à la suite duquel le baryton Roman Burdenko put enfin livrer l’air d’introspection « Pari siamo ! », révélant ainsi toute l’ampleur de sa tessiture. L’entrée de la soprane Rosa Feola nous permit d’apprécier aussitôt son vibrato sonore et affirmé. Le duo « Figlia! / Mio padre! » fut admirablement exécuté, envoûtant, avec des sauts d’intervalle et des pics aigus puissants, et précéda de quelques minutes les sublimes duos « E il sol dell’anima » et « Che m’ami, deh, ripetimi », absolument saisissants. Retenons que les dialogues de ce premier acte sont vigoureux et incarnés, et bénéficient d’une belle fusion des timbres -tout en rendant très bien compte de la complexité des liens qui unissent le personnages masculins et féminins.