Mots-clé : Eléonore Gagey

Orfeo d’Antonio Sartorio, une fête de timbres dans une histoire sombre 

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Présenté à Montpellier en juin dernier, l’Orfeo d’Antonio Sartorio (1630-1680) est repris en tournée par l’Arcal depuis la fin septembre et fait étape à Paris, au théâtre de l’Athénée.

L’œuvre est créée en 1672 à Venise, 65 ans après la « favola in musica » de Monteverdi, par Sartorio et son librettiste Aurelio Aureli (ca. 1630- ca. 1708) qui confèrent à Orphée et à son entourage des caractères plus réalistes d’une grande modernité. Ils transforment le mythe des amants en un conte satirique acéré de la passion amoureuse, agrémenté de bouffonnerie propre à l’opéra vénitien, tel L’incoronazione di Poppea.

L’ouvrage offre ainsi un panorama de figures humaines, inspiré et librement adapté d’Ovide. Chaque personnage a un caractère fort, comme Orphée, un mari jaloux n’hésitant pas à commanditer un assassinat de son épouse Eurydice, ou Erinda, une vieille nourrice cougar et bouffonne tentant de séduire le jeune berger Orillo. Quant à Eurydice et à Autonoe (fiancée délaissée d’Aristée, un dieu grec devenu ici un frère d’Orphée), sincèrement amoureuses de leurs partenaires respectifs, font tout pour les retenir. Autour d’eux, d'autres personnages de la mythologie grecque regroupés par pair : Achille et Hercule (en rôles comiques), Esculape et Chiron le centaure, Pluton et Bacchus. Six couples tissent ainsi des liens subtilement mêlés mais aussi parallèles, que décrit le librettiste avec une merveilleuse clarté.

A Lausanne, une Norma surprenante  

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Pour achever sa saison 2022-2023, l’Opéra de Lausanne affiche Norma, le chef-d’œuvre de Vincenzo Bellini. Son directeur, Eric Vigié, en confie la production à Stefano Poda qui assume à la fois mise en scène, décors, costumes, lumières et chorégraphie en collaborant avec Paolo Giani Cei. Pour une Note d’intention figurant dans le programme, il écrit : « Norma est le monde du rêve et du cauchemar, de l’inconscient, de l’esprit. C’est l’occasion parfaite pour épurer ma mise en scène, pour offrir aux spectateurs un véritable instrument optique qui ne montre pas forcément la vie des Gaules et des Romains, mais aussi le monde interne de chacun de nous ».

A l’instar de ses précédentes relectures des Contes d’Hoffmann et d’Alcina, Stefano Poda délimite l’espace scénique par de vastes parois vitrées permettant les jeux subtils d’éclairage, alors que descend des cintres un gigantesque peuplier porteur du gui sacré dont les racines énormes semblent vouloir écraser le peuple gaulois engoncé dans de blanches houppelandes et les quelques uniformes noirs portés par le proconsul romain Pollione et ses hommes de main. Tandis qu’apparaît un immense disque lunaire élevé par de mystérieuses mains, Norma, vêtue de rouge vif, officie en déroulant le sublime « Casta diva » puis s’immerge dans le souvenir des jours heureux au moment où, dans un « Ah bello, a me ritorna » suggéré par le rêve, lui apparaît Pollione auquel elle s’unit avec une dévorante passion. Le second tableau présente une Adalgisa drapée de noir, considérant une maquette du Panthéon qui s’agrandira en arrière-plan quand la rejoindra le consul imposant la toute-puissance romaine. Des entrailles de la terre surgiront, en un cube exigu, les deux enfants nés de l’union de la grande-prêtresse et du parjure, vivant dans un monde clos et jouant au lego avec les lettres de toutes tailles composant le nom NORMA. Mais que leur constante agitation devient dérangeante durant le magnifique « Mira, o Norma » où ils édifient les mots AMOR et ROMA ! Un gong lumineux déclenchera l’incitation à exterminer l’envahisseur, tandis que le sang inondera les vitres. Le dénouement laissera en coulisse le bûcher sacrificiel mais fera émerger la sphère bleue de la rédemption vers laquelle s’achemineront les deux amants purifiés, tenant par la main leurs deux fils.