Entretien avec Emmanuel Arakelian
À l’occasion de la parution de son premier album en tant que soliste, Emmanuel Arakélian évoque Louis Marchand, un sommet du clavier au Grand Siècle, mais aussi les deux instruments qui ont accompagné cet enregistrement : le légendaire clavecin du château d’Assas, et l’orgue de Saint-Maximin dont il est l’heureux titulaire.
Elle oscille « sans cesse entre l’austérité archaïque et grandiose des vieux maîtres et la grâce, plus amène, du siècle nouveau » lisait-on dans la notice du vinyle Jalons De La Musique Sacrée consacré en 1972 par André Isoir à Louis Marchand. Selon vous, quelle est sa place dans l’école classique française ?
Louis Marchand me semble être un compositeur absolument majeur du Grand Siècle, je dirais même essentiel, tant son langage est unique et extrêmement inventif. En ce qui me concerne je n’y vois aucun archaïsme et encore moins d’austérité, bien au contraire. Sans cesse Marchand développe le contrepoint, renouvelle le langage harmonique avec des audaces pouvant faire à penser à un Charpentier. Il y a une poésie immense dans les récits et une fierté dans les pièces plus démonstratives. Son œuvre se prête de plus magnifiquement à la transcription : je pense à Freddy Eichelberger qui a enregistré la gavotte pour clavecin à l’orgue mais aussi plus récemment à la violiste Salomé Gasselin qui fait sonner la tierce en taille en ré comme une pièce de Marin Marais.
Dans le tome IV de son monumental ouvrage Le Livre de l’Orgue Français (page 122, éditions A. et J. Picard, Paris, 1972), Norbert Dufourcq résumait la réputation d’un compositeur « fantasque, dissipé, brouillon, irascible ». Nombre d’anecdotes corroborent un tel portrait. Pensez-vous que son caractère se reflète dans sa musique ?
En effet, nombreuses sont les anecdotes rapportées à son sujet. Pour ma part, je n’entends absolument pas dans sa musique un quelconque caractère ombrageux ou brouillon. Sa musique est lumineuse, extrêmement contrôlée et incroyablement élégante. En revanche il convient de séparer deux aspects très importants : tout d’abord, certaines pièces ont pu être retrouvées après son décès par sa famille et sont probablement des esquisses, écrites au gré de son inspiration et qui n’avaient peut-être pas pour but d’être publiées : cela peut expliquer un Te Deum incomplet par exemple dont certaines pièces peuvent être inachevées. Enfin, il y a un geste infiniment instinctif dans sa musique, tel un peintre jetant son pinceau sur la toile avec spontanéité, là où un François Couperin semble plus réfléchi. J’aime beaucoup cette réflexion d’Olivier Baumont qui décrit Couperin comme un virtuose de l’esprit, Marchand est pour moi plus un virtuose du geste… et des doigts naturellement.
Qu’est-ce qui vous a poussé à enregistrer cette anthologie consacrée au grand virtuose du clavier sous Louis XIV ? Quelle importance tient-elle dans votre discographie ? Le projet s’est-il facilement concrétisé ?
C’est tout d’abord un amour pour ce Grand Siècle, fascinant à bien des égards mais aussi une passion pour les instruments historiques. De plus, il fallait aussi choisir une personnalité qui n’avait pas été assez enregistrée à mon goût. Sur les conseils de mon ancien professeur Olivier Baumont, je me suis tourné vers Marchand et l’idée fut tout de suite d’aborder son œuvre aussi bien à l’orgue qu’au clavecin, pour ce qui est de surcroît mon premier disque en soliste. Mon expérience régulière avec les ensembles et la musique de chambre m’a permis d’approcher cette musique avec, je l’espère en tout cas, un aspect très instrumental. Je pense notamment à l’enregistrement du disque « Récit » avec Salomé Gasselin, où j’ai eu le bonheur d’être à l’orgue pour des transcriptions de pièces d’orgue de Guilain, du Mage et … Marchand. Je n’aurais pas joué de la même manière ces œuvres sans cette expérience incroyable de l’archet. Il me faut ajouter que le label Mirare m’a laissé carte blanche pour le choix du répertoire et les instruments, ce dont je leur suis infiniment reconnaissant.
