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La Bohème tout simplement au Théâtre des Champs-Elysées

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Le metteur en scène Eric Ruf place les quatre tableaux de cette Bohème à l’intérieur d’un Théâtre dans le Théâtre, celui des Champs-Elysées. Magnifié par le rideau rouge qu’achève de peindre Marcello, l’espace devient tour à tour mansarde, Quartier latin ou Barrière d’Enfer, englobant même toute la salle un moment éclairée face à Mimi.

Les cages sont propices à la fluidité de déplacements bien réglés tandis que le café Momus évoque quelque conte d’Andersen où se mêlent cris d’enfants, tambours, filles légères au grand cœur et amis désargentés.

La lumière (Bertrand Couderc) définit chaque lieu d’une simple rampe ou d’un lever de lune. Sa discrète poésie s’harmonise au jeu des costumes (Christian Lacroix) plus percutant qu’il n’y paraît à première vue. Ainsi la robe orange de Musetta et celle, rouge vif, de Mimi au moment de sa mort, s’harmonisent-elles avec cette sensualité si particulière propre aux héroïnes sacrificielles de Puccini -féminité candide, ardente et blessée. 

Cet éclat est renforcé par le contraste avec une tonalité d’ensemble aux teintes sourdes. La palette des gris et des bruns, la variation des textures -fourrures, drap de laine, tricots- affine inconsciemment le regard. Merveilleusement terne, le raffinement ne se perçoit que peu à peu si bien qu’il faudra attendre les saluts pour en savourer les détails. Mais, surtout, par l’aisance de leur coupe, paletots, pelisses puis redingotes virevoltantes suscitent le geste vif, enlevé, dramatiquement juste.

Sur ce fond de grisaille, le moindre frémissement de vie, de chaleur humaine, de tendresse prend toute la place dans le courant d’une musique en constante métamorphose.

Le jeune chef lombard Lorenzo Passerini s’en empare avec un enthousiasme communicatif et un sens dramatique aiguisé. Fondateur de l’orchestre Antonio Vivaldi, tromboniste de formation, il galvanise l’Orchestre national de France comme les chœurs Unikanti-Maîtrise des Hauts de Seine. Sa vivacité sait se tempérer, soutenir des contrastes énergiques ou se mettre en retrait à l’écoute de ces accents de simplicité souriante et mélancolique caractéristiques du musicien. Chaque pupitre est mis en valeur et le génie orchestral du compositeur de Manon Lescaut peut se déployer dans toute son envergure. Au point que des réminiscences rares, habituellement fondues dans la masse, surprennent l’oreille : Moussorgski, entre autres, dont l’influence aura été finalement bien au-delà de Ravel, orchestrateur des Tableaux d’une exposition qui citait volontiers Puccini comme modèle d’orchestration, de Claude Debussy dont l’aversion pour le vérisme cohabitait avec une admiration éperdue pour Boris Godounov -« Tout Boris est dans Pélléas » confiait- t-il ! Ou de Stravinski, lui aussi, imprégné des trouvailles de la Khovantchina.

Un plateau de haut vol offre une interprétation équilibrée et bien caractérisée. Très attendu pour sa prise de rôle, le ténor Pene Pati (Rodolfo) fait preuve d’une belle sensibilité (« Che gelida manina ») qui s’affirme au fil de la représentation. Emouvant dans l’échange du quatrième tableau avec Marcello, sa puissance parfois démonstrative n’exclut pas de belles demi-teintes.

Alexandre Duhamel incarne un peintre chaleureux, truculent, très juste dans sa relation avec Musetta (Amina Edris).

Un Rigoletto délicatement pertinent à l'opéra de Lorraine

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A l’Opéra National de Lorraine, Richard Brunel propose une lecture de Rigoletto, qui lui ajoute quelques dimensions bienvenues, qui en souligne délicatement l’intensité, sans le solliciter ni le trahir.

« La scène se passe à Mantoue et alentour », nous dit le livret. Nous allons y découvrir, y vivre, une terrible histoire tragique, celle de Rigoletto, bouffon difforme du Duc de Mantoue, absolument dévoué à son maître, cruellement prêt à tout pour lui. Mais voilà que ce maître, qui multiplie les conquêtes, les agressions plutôt, s’en prend à Gilda, la fille cachée du bouffon. Désespoir fou de celui-ci, désir tout aussi fou de vengeance ; fatalité, tragédie : « Malédiction » ! Tout est mal qui finit mal.

Quand le rideau se lève, nous découvrons non pas une salle d’un palais, mais les coulisses d’un théâtre où se déroule une représentation de ballet. Le « Duc de Mantoue » est le « maître » de ce ballet ; Rigoletto, son adjoint. Ce directeur de ballet est un prédateur, usant et abusant de ses danseuses ; Rigoletto est à son service, « réglant tous les problèmes » pour lui. Concept hasardeux ? Récupération convenue des dénonciations « Me Too » ? Non dans la mesure où le schéma essentiel de l’intrigue, sa caractérisation des personnages, son engrenage inexorable, sont préservés, dans la mesure où des séquences dansées ajoutent une touche esthétique et significative, en accompagnement ou en contrepoint, à ce qui se joue. Avec même une touche d’humour quand le choeur des courtisans, qui se réjouit des malheurs du bouffon, se risque à une danse balourde. Jamais cette transposition ne vient polluer ou compromettre les grands moments du récit ni leurs merveilleux déploiements vocaux. Verdi, sa partition, ses interprètes, sont là et bien là, en toute lisibilité, audibilité.