Un Rigoletto délicatement pertinent à l'opéra de Lorraine

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A l’Opéra National de Lorraine, Richard Brunel propose une lecture de Rigoletto, qui lui ajoute quelques dimensions bienvenues, qui en souligne délicatement l’intensité, sans le solliciter ni le trahir.

« La scène se passe à Mantoue et alentour », nous dit le livret. Nous allons y découvrir, y vivre, une terrible histoire tragique, celle de Rigoletto, bouffon difforme du Duc de Mantoue, absolument dévoué à son maître, cruellement prêt à tout pour lui. Mais voilà que ce maître, qui multiplie les conquêtes, les agressions plutôt, s’en prend à Gilda, la fille cachée du bouffon. Désespoir fou de celui-ci, désir tout aussi fou de vengeance ; fatalité, tragédie : « Malédiction » ! Tout est mal qui finit mal.

Quand le rideau se lève, nous découvrons non pas une salle d’un palais, mais les coulisses d’un théâtre où se déroule une représentation de ballet. Le « Duc de Mantoue » est le « maître » de ce ballet ; Rigoletto, son adjoint. Ce directeur de ballet est un prédateur, usant et abusant de ses danseuses ; Rigoletto est à son service, « réglant tous les problèmes » pour lui. Concept hasardeux ? Récupération convenue des dénonciations « Me Too » ? Non dans la mesure où le schéma essentiel de l’intrigue, sa caractérisation des personnages, son engrenage inexorable, sont préservés, dans la mesure où des séquences dansées ajoutent une touche esthétique et significative, en accompagnement ou en contrepoint, à ce qui se joue. Avec même une touche d’humour quand le choeur des courtisans, qui se réjouit des malheurs du bouffon, se risque à une danse balourde. Jamais cette transposition ne vient polluer ou compromettre les grands moments du récit ni leurs merveilleux déploiements vocaux. Verdi, sa partition, ses interprètes, sont là et bien là, en toute lisibilité, audibilité.

Une autre idée de Richard Brunel est de faire apparaître, rôle confié à une danseuse, le fantôme de l’épouse morte et tant aimée de Rigoletto, celle qu’il évoque si magnifiquement dans son chant. Le fantôme de la maman de Gilda, leur fille, idéalisée dans les rêves de l’adolescente. Témoin de ce qui se précipite, réconfort du bouffon fracassé, accueil de la jeune fille sacrifiée. Une présence dramaturgiquement et délicatement pertinente.

Covid oblige, le nombre d’instrumentistes autorisés dans la fosse d’orchestre a été radicalement réduit (ainsi notamment, une flûte, un hautbois, une clarinette). Frédéric Chaslin a réalisé et réussi (comme il l’avait fait pour la Tosca actuellement à La Monnaie) une « réduction » qui, une fois de plus, et on en prend l’habitude, confère davantage de nuances et d’intimité à des séquences qui normalement déferlent. Cela nous vaut de beaux duos entre une voix et un instrument, cela nous permet de mieux percevoir certaines architectures de la partition.

Alexander Joel, le chef, prouve combien il maîtrise cette œuvre, dans ses moyens et dans ses effets, et vit manifestement une belle rencontre épanouie avec l’Orchestre et le Chœur de l’Opéra National de Lorraine.

Juan Jesus Rodriguez impose son Rigoletto dont seule une canne indique l’infirmité : c’est dans son jeu scénique et surtout les facettes de son chant, du railleur cruellement triomphant, du mari inconsolable au père désespéré et vengeur, qu’il incarne son personnage. Alexey Tatarintsev est -et c’est ainsi qu’il habite ses airs- un Duc de Mantoue-Maître de ballet instinctif, content de lui, joueur comme un chat qui déchiquète ses victimes. La Gilda de Rocio Perez, aux justes apparences juvéniles, réussit, elle, à conjuguer l’innocence de son personnage, son affection pour son père, sa désillusion devant la trahison, son sacrifice par amour, dans un chant qui s’impose de plus en plus. Önay Köse est un redoutable Sparafucile, voix et présence impératives. Francesca Ascioti (Maddalena), Pablo Lopez (Monterone), Francesco Salvadori (Marullo), Bo Zhao (Borsa) et Samuel Namotte (Ceprano) leur donnent les répliques qui conviennent. Quant à Agnès Letestu, danseuse étoile de l’Opéra de Paris, elle incarne à merveille, présence dans l’absence, le fantôme de l’épouse de Rigoletto, de la mère de Gilda.

Un Rigoletto à découvrir plus tard à Toulon, Rouen et Luxembourg.

Opéra National de Lorraine – dimanche 27 juin 2021

Stéphane Gilbart

Crédits photographiques : Jean-Louis Fernandez

 

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