Annoncé comme l’une production phare de cette saison à l'Opéra de Paris, le prélude du Ring laisse l'auditoire sur sa faim musicalement. La pertinence du propos de Bieito demeure à confirmer.
Juger des qualités d'une mise en scène après le seul prologue du Ring relève du non sens, ce dernier n'ayant après tout valeur que de prologue d'une Gesamtkunstwerk donnée en quatre journée. Il est toutefois d'ores et déjà possible de constater quelques lignes directrices. Point de symbolisme pour Calixto Bieito et son équipe, mais bien une nouvelle relecture sociétale, passée cette fois-ci au prisme du transhumanisme, au motif que les ultranantis désireraient la vie éternelle. Dans ce décor unique signé Rebecca Ringst - le Nibelheim étant désormais le sous-sol d'un Walhalla aux allures de tour d'acier- les mots d'ordre sont ainsi sobriété -à l'exception du Nibelheim aussi foisonnant que dérangeant- et projections, signées Sarah Derendinger. Pour le reste, amateurs de poésie et d’esthétique, point de salut pour vous ici ce soir, mais uniquement une dramaturgie abrupte éclairée par les lumières crues de Michael Bauer. Certains points d’ombre demeurent, à l’image du Tarnhelm dont on peine à saisir tant le concept que les effets dans la troisième scène mais, surtout, l’on ne peut s’empêcher si cette grille de lecture technologico-dystopique -initialement prévue pour 2020- survivra bien aux évolutions de son époque. La Walkyrie de la saison prochaine apportera certainement davantage d’éléments de réponse, tant sur l’actualité d’une pareille vision que sur le rôle que les hommes ont à y jouer.
Sur scène après une indisposition remarquée, l’on retrouve Iain Paterson en Wotan. Peut être la rémission n’est elle pas tout à fait parachevée, mais la projection demeure trop légère durant la deuxième scène et la longueur du souffle un peu juste sur certaines phrases, nonobstant un positionnement quasi systématiquement à l’avant-scène. Vers la fin de l’ultime scène, la fatigue devient manifeste dans les graves de la tessiture. Eve-Maud Hubeaux campe en revanche une Fricka impériale, tant dramatiquement que musicalement, avec une projection remarquée dans toutes les positions imposées, grâce à un efficiente utilisation du diamant du soutien. La longueur de souffle, fort bonne, est également remarquée. En Alberich, Brian Mulligan, livre une prestation aux allures de masterclass d’investissement théâtral, des frontières de l’autisme au tréfonds d’une lubricité sordide, le pinacle est peut-être atteint lors de la malédiction de l’anneau durant laquelle ces imprécations se font d’une ampleur rare, accentuées tant par l’ampleur de la projection que par le dramatisme de sa tessiture. Quant à Simon O’Neill, il campe un Loge au timbre ample et voilé, mais faisant état de bons harmoniques aiguës. La clarté de l’articulation ainsi que la mise en place rythmique laissent toutefois par instant à désirer.
En ce 13 septembre, jour anniversaire de la naissance d’Arnold Schönberg, le Musikverein de Vienne propose un concert anniversaire d'ampleur : les gigantesques Gurre-Lieder dans le cadre de l’ouverture de la saison des Wiener Symphoniker qui coïncide avec la prise fonction effective de leur nouveau directeur musical le Tchèque Petr Popelka.
En Autriche, Arnold Schönberg a été célébré par des expositions, en particulier au Centre Arnold Schönberg voisin du Musikverein, des concerts et même un timbre de la poste autrichienne. Pas mal pour un compositeur moderniste, peu bankable auprès du grand public. Cependant, c’est tout à l”honneur du pays de célébrer cet artiste majeur dans l’évolution musicale.
Mais revenons aux Gurre-Lieder qui furent créés en 1913 sur cette même scène du Musikverein par le prédécesseur des Wiener Symphoniker, la Wiener Concertverein. Assister à une interprétation de cette partition titanesque est toujours un immense privilège tant la démesure des effectifs et les coûts attenants effraient les programmateurs (la dernière interprétation en Belgique remonte à 2007 avec les forces de La Monnaie). Au final, en cette année anniversaire, on ne relevait pas tant d’exécutions, souvent offertes par des orchestres et des choeurs de radio (Simon Rattle à Munich avec les forces du BR ou Alan Gilbert à Hambourg et Lucerne avec la NDR) ou opératiques comme Riccardo Chailly avec La Scala. Dès lors, entendre ces Gurre-Lieder à Vienne dans la salle qui a vu leur création est un double privilège.
Pour relever le défi musical, les Wiener Symphoniker sont renforcés de forces chorales locales (Singverein der Gesellschaft der Musikfreunde in Wien) et internationales (Choeur philharmonique slovaque et pupitres masculins du Choeur national hongrois) ainsi que d’une solide distribution d'artistes de haut-vol : Michael Weinius (Waldemar), Vera-Lotte Boecker (Tove), Sasha Cooke (Waldtaube), Gerhard Siegel (Klauss), Florian Boesch (Bauer) et Angela Denoke en récitante de grand luxe.
Deux ans après une première série de représentations tumultueuses et contestées, la production de Salomé de Richard Strauss dans la mise en scène Lydia Steier fait son retour sur la scène de l’Opéra Bastille avec comme argument majeur la prise de rôle de Lisa Davidsen dans le rôle-titre. La soprano norvégienne est absolument magistrale : la puissance de projection, la beauté du timbre, la sûreté incroyable de l'intonation, la musicienne semble ne pas avoir de limites à cette aisance vocale. La scène finale est un très grand moment, musicalement tétanisant par l’impact vertigineux qu’elle insuffle. La performance musicale est d’autant plus grandiose que la mise en scène n'épargne pas l'artiste. C’est assurément une prise de rôle majeure dans un développement de carrière exemplaire.
Autre grand succès de cette reprise, la direction subtile et intelligente de Mark Wigglesworth au pupitre d’un orchestre de l’Opéra de Paris en démonstration. Le chef anglais concilie tension dramatique et soin apporté aux détails ou aux couleurs de l'orchestration. Sa direction est à la fois souple et tranchante et elle porte tant la dramaturgie que le déploiement de la narration tout en gardant le contrôle parfait du plateau sans jamais le couvrir. Le musicien recherche un lisibilité des phrasés s’appuyant sur les superbes couleurs françaises de la phalange, on admire aussi une Danse des sept voiles, plutôt lente et creusée dans ces contrastes d’une valse macabre.
Restons dans la partie musicale en évoquant les autres protagonistes d’une distribution de haut vol avec parfois un luxe même dans les “petits rôles” avec l’excellent Pavol Breslik en Narraboth auquel il apporte son aisance vocale et le rayonnement de son timbre. Wagnérien émérite, Gerhard Siegel rend toutes les facettes vocales du rôle Hérode avec une intelligence musicale remarquable. Ekaterina Gubanova est magistrale en Herodiade par sa puissance vocale et sa projection. Excellente prestation également de Johan Reuter en Jochanaan, même s'il semble parfois un peu sur la réserve. Tous les autres chanteurs sont excellents et tous méritent des éloges d’un tel engagement musical dans un contexte scénique unilatéral.