Interviews
Le chef d’orchestre Fabien Gabel fait l'événement avec la parution d’un album où il accompagne le formidable trompettiste Håkan Hardenberger dans des œuvres concertantes du répertoire français avec les concertos de Tomasi et Jolivet. Cet album BIS, enregistré avec l’excellent Orchestre Philharmonique Royal de Stockholm est une immense réussite qui réinvente l’approche de ces partitions. Le musicien répond aux questions de Crescendo Magazine.
Comment est né le projet de ce disque ?
J'ai accompagné Håkan Hardenberger pour la première fois il y a quelques années à Helsinki dans le concerto de Zimmermann. Tout naturellement nous avons parlé répertoire ! Nous avons fait le constat que le “Finale” du concerto de Tomasi était trop court et que les numéros "repères" ne se suivaient pas. J'ai fait mes recherches auprès de Claude Tomasi qui m'a tout simplement envoyé une copie du manuscrit trompette et piano... La suite est simple: le “Finale” était plus long et écrit quasiment d'un seul jet ! De là est partie l'idée de la "recréer" (on ne sait pas si le trompettiste hollandais ayant créé le concerto l'a joué dans son intégralité). Le matériel d'orchestre étant introuvable, il a fallu orchestrer les parties manquantes. Pour cela, Franck Villard a fait un travail remarquable. Nous l'avons joué à Québec et à Paris puis enregistré à Stockholm.
Le programme présente des œuvres pour trompette et orchestre. Vous avez vous-même étudié la trompette et vous êtes le fils du grand trompettiste Bernard Gabel. Est-ce qu’accompagner un trompettiste pour un enregistrement de grandes œuvres du répertoire (dont vous devez connaître les moindres détails) a un sens particulier ?
Il s'agit surtout de l'aboutissement d'un projet commun. Håkan Hardenberger et moi avons tissé des liens artistiques et amicaux forts tout au long de cette aventure. Paradoxalement, Håkan n'avait jamais enregistré les grands concertos français avec orchestre auparavant. Nous avions un fort désir de le faire ensemble, conscients tous les deux de notre amour pour la musique française !
Le trompettiste Marc Geujon fait paraître un album consacré à des œuvres transfrontalières ; on découvre ainsi deux belles partitions des compositeurs canadiens Jacques Hétu et John Estacio. Crescendo s’entretient avec ce formidable musicien.
Votre album, par son programme, sort des sentiers battus. Comment l’avez-vous conçu ?
En 2020, j’étais "artiste associé" de l’Orchestre Symphonique de Mulhouse (OSM). Nous avions prévu 9 concerts avec l’orchestre et la crise sanitaire a un peu chamboulé l’ensemble du planning de l’année. Le label IndéSENS m’avait proposé depuis quelque temps d’enregistrer et l’opportunité s’est présentée grâce à l’OSM et à son directeur musical Jacques Lacombe. Nous avions élaboré les programmes de concerts en amont et tout naturellement, ce sont ces concertos que nous avons proposés sur ces deux albums.
Jacques Lacombe m’a proposé le concerto de son défunt ami Jacques Hétu. Je ne connaissais pas l'œuvre mais elle m’a tout de suite plu. Il fallait alors trouver un lien supplémentaire avec le Canada, et j’ai cherché de la musique canadienne. John Estacio venait de composer son concerto peu de temps auparavant. Je lui ai écrit, et il m’a gentiment envoyé son matériel et un enregistrement "live" de la création. J’ai été conquis par sa musique et il me tenait à cœur de pouvoir l’inclure dans cet album.
Le concerto de Arutiunian est un classique du répertoire, mais on le joue souvent comme un morceau de concours virtuose. Quelles sont les qualités stylistiques de cette œuvre ?
Bien sûr, le concerto d’Arutiunian est un des plus joués dans le monde. Très "grand-public" et relativement démonstratif pour le soliste et l’orchestre, il a été popularisé notamment par Timofei Dokschitzer et Sergei Nakariakov. On retrouve dans les caractéristiques mélodiques et rythmiques de l'œuvre l’influence de la musique populaire arménienne, et plus généralement les couleurs des orchestrations d’Europe de l’est, dans son lyrisme et ses textures harmoniques. C’est cet aspect lyrique que j’ai souhaité mettre en exergue dans cet enregistrement.