La redécouverte de Sophia Corri Dussek

par

Sophia CORRI DUSSEK (1775-1847)  : Airs favoris arrangés pour la harpe. Kyunghee Kim-Sutre, harpe ; Guillaume Sutre, violon. 2019. Livret en français et en anglais. 72.54. Hortus 178.

Alors que le label Dux publie des sonates pour piano du mari, Jan Ladislav, les éditions Hortus complètent notre connaissance des époux Dussek en proposant des airs pour harpe de Sophia Corri Dussek. Ce n’est la première fois que la harpiste Kyunghee Kim-Sutre s’intéresse au répertoire du couple puisqu’en 2013, elle a signé, pour Sonatri records, un CD consacré à des partitions pour son instrument de Jan Ladislav et Sophia.

Née à Séoul en 1964, Kyunghee Kim-Sutre, après une formation dans son pays natal, poursuit ses études au Curtis Institute of Music ; elle reçoit un Premier Prix de harpe au Conservatoire Supérieur de Musique de Paris. En 1987, aux Etats-Unis, elle remporte le Premier prix du Concours Elizabeth Herbert Hobin ; quatre ans plus tard, elle inscrit son nom au palmarès du Concours de Musique de Chambre Lily Laskine, avec le violoniste Guillaume Sutre, fondateur du Trio Wanderer et, pendant près de vingt ans, premier violon du Quatuor Ysaÿe ; il va devenir son mari et son partenaire. La harpiste mène une carrière en récital ou comme soliste, ou en duo avec son époux. On la retrouve sur quelques CD, notamment dans le volume 3 de la série consacrée aux Musiciens et la Grande Guerre, intitulé La Harpe consolatrice. Elle joue sur un instrument rare de 1905 créé par Sébastien Erard, fabricant français qui est l’inventeur de la harpe à pédales à double mouvement ; on le savoure dans cet enregistrement effectué à Bonn, à la Woelfl-Haus.

Sophia Corri, née en 1775, est la fille du violoniste, compositeur et éditeur de musique Domenico Corri ; elle montre vite des talents comme harpiste et pianiste, mais aussi comme compositrice (la notice rappelle longuement la difficulté pour les femmes de s’imposer dans ce domaine). A 17 ans, elle épouse Jan Ladislav Dussek, dont elle sera séparée définitivement en 1799 suite à la faillite de la maison d’éditions Corri. Son père est emprisonné pour dettes et son mari s’enfuit à Prague, avant de finir sa vie en région parisienne en 1812. Sophia ne le reverra jamais. Elle se remarie avec l’altiste John Moralt et crée une école de musique en Angleterre où elle fait connaître les œuvres de Mozart ; en 1801, elle chante elle-même l’une des parties solistes de son Requiem. Elle compose et publie, essentiellement pour la harpe. Les œuvres du présent CD Hortus datent de la période postérieure à la mort de Dussek et sont un écho de ce que l’on pouvait entendre dans les salons londoniens de la Régence : arrangements d’airs d’opéras, de chansons célèbres et de fêtes, sonates avec accompagnement. Kyunghee Kim-Sutre nous fait vivre l’ambiance de ce qui aurait pu être une réception dans le salon de Paddington, animé par Sophia et son second mari.

On découvre des airs connus : arrangements d’Adeste fideles ou de God save the King, airs de Haydn ou de Weber (le chœur des chasseurs du Freyschütz) ou moins courants : musique celtique (sous l’influence des poèmes d’Ossian), chansons traditionnelles, valse tyrolienne… Une série d’extraits de divers Livres d’Airs Favoris arrangés pour la harpe montrent la variété et la finesse d’inspiration de Sophia Corri, ainsi que des moments plus intimes, accompagnés par le violon de Guillaume Sutre, rappelant de manière subtile que la compositrice se produisait dans son salon avec son mari violoniste, John Moralt.

Ce CD délicat, au climat romantique et enchanteur, ne va pas révolutionner l’histoire de la musique. Mais il remet un talent musical en évidence et permet à l’auditeur de se plonger dans un univers où l’on cultive le charme et la grâce, la distinction et le raffinement. Une écoute rêveuse au coin du feu révèlera les qualités de créatrice de Sophia Corri qui méritait l’hommage rendu par Kyunghee Kim-Sutre, harpiste au talent épanoui et équilibré, et par son mari Guillaume Sutre, son partenaire dans les trois airs avec violon. La postérité, qui a oublié Sophia Corri, ne peut plus désormais négliger cette musicienne de race. 

Son : 9   Livret : 9   Répertoire : 7  Interprétation : 10

Jean Lacroix

 

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