Mots-clé : Patrick Marie Aubert

  A Lausanne, un Nabucco impressionnant

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En ce mois de juin 2024, Eric Vigié quitte la direction de l’Opéra de Lausanne après dix-neuf ans de bons et loyaux services. En premier lieu, il convient de le remercier pour le titanesque travail  accompli  qui a permis à ce théâtre de se hisser au niveau des premières scènes helvétiques en trouvant le juste équilibre entre les plateaux vocaux de qualité constante  et les mises en scène intelligentes évitant l’esbroufe du tape-à-l’œil innovateur, avec des moyens financiers ô combien limités par rapport à Genève ou Zurich.

Pour un dernier coup de chapeau, quelle audace que de présenter sur une scène aussi exiguë Nabucco qui fait appel à des forces chorales importantes dans un cadre scénique évoquant le Temple de Salomon à Jérusalem et la Babylone monumentale de Nabuchodonosor! Mais Eric Vigié élude le problème en sollicitant le concours de Stefano Poda dont les six productions lausannoises ont fait date. 

Dans sa Note d’intention figurant dans le programme, celui qui a conçu à la fois mise en scène, décors, costumes, lumières et chorégraphie écrit : « Le secret de Nabucco réside dans une spiritualité mystérieuse qui va au-delà du livret apparemment schématique… Le défi de cette mise en scène, c’est donc d’accompagner les personnages dans un univers dantesque vers une fin de rédemption et de catharsis universelle, en s’appuyant aveuglément sur une musique qui parle de tout sans rien nommer ».  Il faut bien reconnaître qu’il y réussit en concevant un décor neutre surmonté d’un dôme de verre laissant osciller un gigantesque encensoir comme un pendule de Foucault puis faisant descendre un globe terrestre entourant de rouge ces hémisphères que l’Assyrie rêve de conquérir. Rouge est aussi le coloris cinglant que portent les envahisseurs, alors que les vaincus se terrent dans le drapé blanc. S’abaissant lentement des cintres, la tour translucide emprisonne les esclaves hébreux puis le potentat qui a perdu la raison. Mais une aile blanche détachée de la Victoire de Samothrace est porteuse d’espoir de rédemption, en faisant même sourdre des bas-fonds les rideaux de jonc des rives du Jourdain.

A Lausanne, un Domino noir émoustillant  

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« Petite musique d’un grand musicien », ainsi Rossini jugeait-il la production de Daniel-François Auber, alors que Wagner déclarait à Edmond Michotte : « Auber fait de la musique adéquate à sa personne qui est foncièrement parisienne, spirituelle, pleine de politesse et… très papillonnante, on le sait ». De ce compositeur qui est le plus représentatif du genre de l’opéra-comique dans la France du XIXe siècle, que reste-t-il ? De ses quarante-cinq ouvrages écrits entre 1805 et 1869, qu’a retenu notre époque ? Deux ou trois titres comme Fra Diavolo, La Muette de Portici, le ballet Marco Spada et quelques ouvertures. 

Pour l’Opéra de Lausanne, Eric Vigié, son directeur, porte son choix sur Le Domino noir, ouvrage en trois actes créé à l’Opéra-Comique le 2 décembre 1837 avec l’illustre Laure Cinti-Damoreau et le ténor Antoine Couderc et repris 1209 fois jusqu’à 1909. Il en présente la première suisse en recourant à la production primée ‘Grand Prix du meilleur spectacle lyrique français’ de l’année 2018, coproduit par l’Opéra-Comique de Paris et l’Opéra Royal de Wallonie à Liège.

Comment lui donner tort ! La mise en scène de Valérie Lesort et Christian Hecq vous emporte dans un rythme endiablé, tout en dénouant les fils d’une intrigue où s’enchevêtrent les quiproquos. Un an après le bal masqué donné la nuit de Noël chez la reine d’Espagne, Horace de Massarena revient avec son ami, le Comte Juliano, dans le salon où il a rencontré un domino noir, flanqué de sa suivante. Comme par enchantement, les deux femmes paraissent dans des accoutrements cocasses imaginés par Vanessa Sannino, Angèle de Olivarès portant le fameux domino surmonté d’une coiffe à tête de cygne…noir, tandis que son amie Brigitte de San Lucar est un énorme bouton d’or engoncé dans les cerceaux d’un panier sans robe. Toutes deux viennent goûter pour la dernière fois à des plaisirs bientôt interdits, puisque l’une est novice au Couvent des Annonciades, alors que l’autre est en passe de se marier. Le décor de Laurent Peduzzi consiste en une gigantesque horloge vitrée, derrière laquelle se profile le boléro des astres orchestré par la chorégraphe Ghysleïn Lefever. Tandis que Christian Pinaud joue habilement avec les changements d’éclairage, Juliano avance d’une heure les aiguilles de la pendule afin de permettre à Horace de s’entretenir secrètement avec Angèle, pendant qu’il fait croire à Brigitte qu’il est minuit, heure de fermeture du couvent qui leur sert d’asile. 

A Lausanne, un saisissant Orphée

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Pour terminer sa saison 2018-2019, l’Opéra de Lausanne présente l’Orphée et Eurydice de Gluck (version de Paris de 1774) dans la production qu’Aurélien Bory avait conçue pour l’Opéra-Comique en octobre 2018 en co-production avec les opéras de Lausanne, Liège, Caen et Zagreb. Dans une page du programme, il explique son point de vue : « J’aborde dans mon travail le théâtre comme un art de l’espace. Ainsi j’ai imaginé que puisqu’Orphée se retournait, l’espace entier de la scène devait se retourner. J’ai choisi pour cela un procédé de magie théâtrale développé au XIXe siècle, le Pepper’s Ghost, qui permet des apparitions par un jeu de reflets. J’utilise ce procédé en laissant le dispositif visible pour renverser les dimensions du plateau : transformer la verticalité par la profondeur au théâtre ».