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Rigoletto à Bastille : clown triste, public heureux

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Le Rigoletto de Verdi par Claus Guth, donné ce dimanche 1er décembre à l’Opéra national de Paris, ne trompe pas son public. Il est sombre, familier et troublant à la fois. En quelques mots : c’est un petit bijou de mélodrame, serti dans un écrin … de carton. 

Oui, c’est bien au sein d’une boîte lisse marron qu’évoluent les pantins de la cour de Mantoue : une cage où se jouera le sort du bouffon Rigoletto (Roman Burdenko) et de sa fille Gilda (Rosa Feola), qui se laisse séduire par le libertin duc de Mantoue (Liparit Avetisyan). Les détails importent peu, les accessoires et décors sont réduits au minimum. Rien que quelques parois alvéolées -pour le reste, on se contentera de portes et d’étages imaginaires. Même la difformité caractéristique du personnage de Rigoletto est gommée. Le choix de l’épure pour insister sur l’essentiel : le vide des cœurs, la superficialité de cette population mondaine qui se fige et se meut artificiellement, et la violence des rapports qui lient les personnages. Mise en scène perturbante à dessein, qui joue de la réflexivité du propos, par des projections d’ombre ou d’images animées, mais aussi par l’usage de doubles : ainsi, un Rigoletto meurtri et vieilli (Henri Bernard Guizirian), sorte de Ferragus balzacien qui connaît déjà l’issue de cette histoire, erre sur le plateau comme au milieu de ses fatals souvenirs. Ce jeu de dédoublement, qui renforce le sentiment du tragique imminent, sera également appliqué au personnage de la fille, souvent accompagnée d’avatars plus jeunes. 

Le premier acte permet de se familiariser avec les rapports de force internes à la cour, puis de découvrir le point faible de ce bouffon royal qui se fait haïr de tous : sa fille Gilda, précieusement maintenue à l’abri du monde extérieur. Le duc parvient pourtant à l’approcher pour la séduire, et les ennemis de Rigoletto à l’enlever. S’il n’est pas le plus stimulant, ni le plus passionnant, ce premier acte comporte de beaux tableaux, rehaussés par un excellent casting. Quoique ténor, Liparit Avetisyan afficha d’emblée une voix grave riche et rebondie. Le comte de Monterone (Blake Denson), véritable Commandeur de la soirée, tonna avec brio lors de ses interventions. Citons aussi le tueur à gages Sparafucile (la voix de basse Goderdzi Janelidze) qui s’imposa dans un tableau de doppelgänger (« Quel vecchio maledivami ! ») par l’éclat de son timbre et la portée de sa voix, et à la suite duquel le baryton Roman Burdenko put enfin livrer l’air d’introspection « Pari siamo ! », révélant ainsi toute l’ampleur de sa tessiture. L’entrée de la soprane Rosa Feola nous permit d’apprécier aussitôt son vibrato sonore et affirmé. Le duo « Figlia! / Mio padre! » fut admirablement exécuté, envoûtant, avec des sauts d’intervalle et des pics aigus puissants, et précéda de quelques minutes les sublimes duos « E il sol dell’anima » et « Che m’ami, deh, ripetimi », absolument saisissants. Retenons que les dialogues de ce premier acte sont vigoureux et incarnés, et bénéficient d’une belle fusion des timbres -tout en rendant très bien compte de la complexité des liens qui unissent le personnages masculins et féminins. 

A Genève, un Concert de l’An de l’OSR de bonne tenue

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Chaque année, au mois de janvier, les Amis de l’Orchestre de la Suisse Romande organisent un Concert de l’An qui se déroule sur la scène du Victoria Hall. Le programme du 10 janvier 2024 avait choisi pour thématique l’art lyrique de Mozart à Puccini en faisant appel au maestro Antonino Fogliani et à la soprano Julie Fuchs pour soliste. Une répétition d’ensemble a eu lieu mardi. Mais le lendemain à 11 heures, la chanteuse s’est trouvée aphone. Avec l’aide du chef et de son carnet d’adresses, Steve Roger, le directeur général de l’OSR, a réussi à contacter Rosa Feola qui s’est engouffrée dans un avion pour Genève et qui, à 16 heures, a pu prendre part à une répétition avec orchestre organisée en catastrophe. Elle a ainsi sauvé la soirée en respectant (à une exception près) les pages inscrites au programme. Et le résultat d’ensemble a été de très bon niveau en provoquant l’enthousiasme d’une salle comble jusqu’au dernier strapontin.