A Genève, un Concert de l’An de l’OSR de bonne tenue

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Chaque année, au mois de janvier, les Amis de l’Orchestre de la Suisse Romande organisent un Concert de l’An qui se déroule sur la scène du Victoria Hall. Le programme du 10 janvier 2024 avait choisi pour thématique l’art lyrique de Mozart à Puccini en faisant appel au maestro Antonino Fogliani et à la soprano Julie Fuchs pour soliste. Une répétition d’ensemble a eu lieu mardi. Mais le lendemain à 11 heures, la chanteuse s’est trouvée aphone. Avec l’aide du chef et de son carnet d’adresses, Steve Roger, le directeur général de l’OSR, a réussi à contacter Rosa Feola qui s’est engouffrée dans un avion pour Genève et qui, à 16 heures, a pu prendre part à une répétition avec orchestre organisée en catastrophe. Elle a ainsi sauvé la soirée en respectant (à une exception près) les pages inscrites au programme. Et le résultat d’ensemble a été de très bon niveau en provoquant l’enthousiasme d’une salle comble jusqu’au dernier strapontin.

Le public genevois connaît Antonino Fogliani par ses prestations au Grand-Théâtre de Genève où il a dirigé notamment Aida et Turandot en cultivant l’opulence orchestrale au détriment du plateau vocal. En concert, il est un chef beaucoup plus nuancé, ce dont donne d’emblée la preuve l’Ouverture des Nozze di Figaro enlevée avec brio tout en jouant des contrastes de phrasé. La scena ed aria de Susanna nous révèle une Rosa Feola négociant dans un timbre rocailleux de prime abord le recitativo « Giunse alfin il momento » qu’elle irise pour livrer ensuite un « Deh vieni, non tardar » empreint de mélancolie en un legato d’une rare fluidité. Par contre, tombe à plat la prière de Pamyra au troisième acte du Siège de Corinthe, chantée en traduction italienne, s’ingéniant à développer un crescendo tragique hors de propos dans une telle page, quand ce « Giusto ciel » baigne dans une suavité extatique que les Tebaldi et Sills d’une autre époque émettaient à fleur de lèvre. De ce même ouvrage, l’Ouverture tient de la grosse cavalerie qui finit par s’éloigner avec l’apparition de l’Allegro subséquent opposant les blocs sonores sans le soutien des basses singulièrement ternes. Par contre, l’Air de danse n.2 a bien meilleur sort grâce au rubato du hautbois imposant une nonchalance de bon aloi aux séquences rapides. Et la Valse « Je veux vivre dans ce rêve qui m’enivre » au premier acte du Roméo et Juliette de Charles Gounod achève brillamment cette première partie, car Rosa Feola la nimbe d’une légèreté de touche qui s’harmonise avec la fragilité innocente de son personnage.

Après l’entracte, l’artiste préserve cette sonorité vaporeuse dans un « Caro nome » de Rigoletto dont les flûtes égratignent l’introduction, ce à quoi la voix ne prête guère attention en enveloppant son legato d’une sonorité mielleuse afin de parvenir à une cadenza qu’elle prend le temps de dessiner méticuleusement. Au deuxième de La Bohème, elle campe une Musetta au lyrisme racoleur pimenté d’ironie, montrant bien qu’à ce stade de la carrière, la voix s’oriente progressivement vers le lirico spinto au détriment de la coloratura du belcanto romantique. Antonino Fogliani a la judicieuse idée d’encadrer ce « Quando m’en vo »par l’ouverture brillante que Franz von Suppé élabora en mars 1866 pour son opérette Leichte Kavallerie et par une page peu connue d’un Puccini de vingt-quatre ans, Capriccio sinfonico, contenant déjà les premières pages de La Bohème dans un foisonnement de sections contrastées. Par la grande scena ed aria de Violetta au premier acte de La Traviata, Rosa Feola remplace la cavatina de Rosina en donnant une dimension émouvante au recitativo « È strano ! » amenant au paroxysme expressif de « Ah ! quell’amor » et à la cabaletta qu’elle couronne d’un contre-mi bémol éclatant. En bis, elle revient à son Puccini d’élection avec un « O mio babbino caro » en demi-teintes et un « Mi chiamano Mimì » où elle affiche une maestria notoire dans le canto di conversazione. En résumé, le meilleur Concert de l’An depuis de nombreuses années !

Genève, Victoria Hall, 10 janvier 2024 

Paul-André Demierre

Crédits photographqiues : Magali Dougados

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