A l’Opéra de Liège, l’incontestable succès de Carmen appartient en grande partie à sa Carmen, la mezzo-soprano italo-américaine Ginger Costa-Jackson. Une voix originale, aux résonances particulières, solide, imposante, affirmée sans jamais être vulgaire, ensorceleuse, railleuse, colérique aux éclats cruels. Une voix qui dit, qui est le personnage qu’elle chante : l’entendre, c’est (re)connaître Carmen dans sa revendication éperdue de liberté, encore et encore répétée. C’est cette Ginger Costa-Jackson qu’ailleurs j’ai pu entendre dans le tout autre rôle du Chérubin des Noces de Figaro ! Ce qui prouve combien elle excelle à jouer de son « instrument ». Corporellement aussi (et dans les costumes si bien pensés et conçus de Betitxe Saitua), elle a le dynamisme, l’emportement, la souplesse féline, les élans, l’impudence de la gitane. Elle, Carmen voix, corps et âme.
Il est vrai que Marta Eguilior, la metteure en scène et décoratrice, l’a installée dans un univers scénique qui lui permet de se déployer.
Nous sommes dans une Espagne des processions de la semaine sainte, avec les immenses chars aux immenses statues et crucifix, avec les cortèges de pénitents aux chapeaux en pointe haute. Des processions qui disent le sacrifice, la culpabilité, la repentance. Le sacrifice de Carmen, la repentance flagellée de José qui revit tout cela. Nous sommes plongés dans un univers aux rouge et noir contrastés. Rouge des uniformes, noir de certaines apparitions. Des atmosphères amplifiées par les très belles lumières de David Alcorta. Des images : l’immense char-autel du surgissement de Carmen, l’arrivée sur un fond rouge feu d’Escamillo le toréador, les arbres épineux décharnés de la scène de la montagne, les masses colorées des chœurs, les enfants-toréadors. Oui, une cérémonie cruelle qui culmine dans un meurtre et dans un cri.