Un concert familial plein de fantaisie avec Dana Ciocarlie aux Théâtre des Abbesses
Dans le cadre d’un partenariat entre l’École normale de musique de Paris – Alfred Cortot et le Théâtre de la Ville – Les Abbesses, une série de concerts met en lumière les lauréats de l’« Artist Diploma ». Le 8 novembre dernier, un imprévu a bouleversé la programmation : le jeune pianiste initialement prévu a dû renoncer à se produire, victime d’une tendinite aiguë. C’est alors que Dana Ciocarlie, professeur à l’École normale, a accepté de le remplacer au pied levé.
Avant le début du concert, l’organisatrice prend la parole pour raconter les péripéties de ce remplacement de dernière minute : les échanges téléphoniques avec l’artiste empêché, la décision de l’annulation, l’envoi d’un message à plus de soixante-dix pianistes potentiels, les réponses reçues — souvent avec des programmes inadaptés à un concert familial — et enfin le choix de la remplaçante idéale. Ce rendez-vous, prévu à 11 heures, s’adresse en effet à tous les publics dès sept ans : il fallait donc une artiste capable de s’adresser aux enfants et de rendre la musique vivante et ludique.
Concertiste reconnue, nommée aux Victoires de la musique, célèbre notamment pour son intégrale Schumann enregistrée en public au Palais de Béhague, Dana Ciocarlie dispose dans son répertoire de programmes spécialement conçus pour les plus jeunes. Sa disponibilité ce matin-là fut une véritable chance — pour la salle comme pour le public, conquis par son récital interactif.
Elle ouvre le concert avec une Valse de Chopin, en clin d’œil au programme initial. Après cette entrée en matière empreinte de sérieux, elle enchaîne avec une autre Valse de Chopin, dite « valse du chat », invitant les enfants à reconnaître, dans la musique, les sauts et espiègleries de l’animal. À chaque imitation féline, des sourires éclatent et des « ah ! » se fusent de partout, ravis d’avoir trouvé le chat dans les notes.
Viennent ensuite trois pièces de Musica ricercata de Ligeti, dont l’amusante pièce presque entièrement composée de la note la. Avant de jouer, la pianiste demande : « Combien de sons pensez-vous entendre ? » — question à laquelle les enfants s’empressent de répondre après l’écoute. Entre deux pièces, elle partage des souvenirs : son enfance en Roumanie, lorsqu’elle s’exerçait sur un clavier dessiné sur du carton, ou ses premières partitions qu’elle comparait à des courses entre Tom et Jerry. Elle ajoute une touche de fantaisie en se coiffant d’un serre-tête à plumes, rappel de celui qu’elle portait pour attacher ses cheveux longs. L’effet est immédiat : la salle entière retrouve l’émotion de ses premiers pas au piano.
Pour la Marche turque de Mozart, elle enfile une perruque blanche et invite le public à frapper dans les mains, fort ou doucement, selon les passages. N’hésitant pas à interrompre brièvement le morceau pour guider les spectateurs, elle fait participer tout le monde dans une ambiance joyeuse et spontanée.
Quelques pièces pour clavier de Schubert suivent, l’occasion pour elle d’évoquer la vocalité du compositeur et d’encourager les enfants à « chanter intérieurement » la mélodie. Puis vient la chanson populaire L’Alouette, qu’elle fait reprendre en chœur par la salle, expliquant que son nom, Ciocarlie, signifie justement alouette en roumain. Elle enchaîne avec ses Variations sur L’Alouette, pièce virtuose qu’elle commente avec humour. Pour conclure, elle interprète deux œuvres de compositeurs roumains : Pavane et Carillon nocturne de Georges Enesco, puis Joc Dobrogean de Paul Constantinescu, toujours en dialogue constant avec le public.
Ce programme, à la fois exigeant et accessible, associe avec finesse chefs-d’œuvre du répertoire et découvertes. Les enfants, invités à répondre aux questions de l’artiste avant chaque pièce, écoutent avec une attention rare.
À l’issue du concert, Dana Ciocarlie prend le temps d’échanger avec les familles. Les parents, ravis, viennent la remercier pour ce moment à la fois drôle, instructif et musicalement riche. Voilà une belle leçon de transmission : faire découvrir la musique classique, offrir des œuvres rarement jouées, et surtout donner aux enfants des repères d’écoute qu’ils garderont, sans doute, pour toute la vie.
Paris, Théâtre des Abbesses, 9 novembre
Crédit photographique : Dana Ciocarlie