Un Guillaume Tell enfin intégral !

par

Gioacchino ROSSINI (1792-1868)
Guillaume Tell
A. Foster-Williams (Guillaume Tell), M. Spyres (Arnold), J. Howarth (Mathilde), N. Di Pierro (Melcthal, Walter), A. Volpe (Hedwige), T. Stafford (Jemmy), R. Facciola (Gesler), G. Pelligra (Rodolphe), solistes, Camerata Bach Choir, Poznan, Virtuosi Brunensis, dir.: Antonino FOGLIANI.
2015-Live-73' 79'', 55' 10'', 64' 51'', et 57' 61''- Textes de présentation en anglais et en allemand-pas de livret-chanté en français-Naxos 4 CD 8.660363-66

Le grand intérêt de ce nouveau coffret Naxos est qu'il présente enfin, et pour la première fois, le chef-d'oeuvre de Rossini (1829) dans son intégralité. Les trois autres versions francophones n'étaient pas complètes (Gardelli, Luisi, Pappano). Pour n'être pas très spectaculaires, les  ajouts sont nombreux : récitatifs à l'acte I, divertissement de l'acte III beaucoup plus long, inclusion de l'air de Jemmy, rôle de Mathilde plus développé à la fin du même acte, trio des dames complet à l'acte IV. En supplément, Fogliani enregistre d'autres danses pour le pas de deux du III, la version originale du pas de trois et du choeur tyrolien, et le nouveau final de l'opéra de 1831 : le célébrissime galop de l'ouverture est chanté,  ce qui est... plutôt surprenant. Tout compris, l'opéra fait 4h 20 et dépasse en durée toutes les autres versions. En dehors de cet aspect musicologique, l'interprétation, des plus  intéressantes, comporte de nombreuses qualités à côté de quelques scories. L'urgence théâtrale du live (enregistrement du festival de Bad Wildbad de juillet 2013) devra faire accepter de fréquents bruits de scène, gênants dans la scène du serment du Rütli et dans "Asile héréditaire". Un autre défaut, plus important : hormis Foster-Williams et Spyres, habitués du répertoire français, tous les chanteurs ont un accent déplorable (aussi le choeur), et qui devient grotesque pour Hedwige, Walter et surtout Gessler, abominable. Il est très difficile de départager les interprètes du rôle-titre, et Andrew Foster-Williams se situe fort près de l'idéal, alliant la fierté du héros à l'émotion contenue du père. Mais il a affaire à forte partie avec Bacquier (Gardelli), Hampson (Luisi) et Finley (Pappano). Quant à Michael Spyres, son Arnold est l'un des atouts majeurs du coffret. On pouvait s'en douter depuis sa magistrale incarnation en concert à Bruxelles, en mars 2014. Ténor di grazia mais aussi fort ténor, il parvient, sans effort apparent, à fondre la tradition de Nourrit avec celle de Duprez. Avec John Osborn (Pappano), il est certainement le meilleur interprète de ce rôle lourd entre tous. On passera plus rapidement sur les autres chanteurs qui, sans démériter, n'égalent pas leurs concurrents. La Mathilde de Judith Howarth, par exemple, manque d'empathie et, pour tout dire, de rayonnement, malgré de jolies vocalises dans son air de l'acte III (avec l'accent, cela  donne : "Sur le rive étran"). Caballé chez Gardelli est imbattable dans ce rôle. La mezzo chaleureuse d'Alessandra Volpe et le petit soprano pointu de Tara Stafford caractérisent bien Hedwige et Jemmy, dont le grand air au III impressionne, même s'il n'est pas indispensable. Melcthal/Walter est bien chantant, tout comme Rodolphe. Quasi constamment en scène, les choeurs s'acquittent de leur tâche à la perfection, dès les grands ensembles du premier acte, jusqu'au lumineux finale (version 1829 !). Mais la palme revient, pour sûr, à Antonino Fogliani, que nous aurons le plaisir de revoir pour La Bohème à l'Opera Vlaanderen en décembre prochain.  Directeur musical du Festival de Wildbad depuis 2011, il dirige de main de maître son choeur de Poznan et son orchestre de Brno. Cette maîtrise se ressent bien dans le trio patriotique du II, par exemple, dans le serment du Rütli, ou dans le final de l'acte III, difficile à réaliser : sa battue claire et précise y fait merveille.
Comment conclure ? Voici une version complète, ce qui intéressera d'abord et avant tout les amateurs de la partition (signalons ici la parution du DVD en août dernier, chez Bongiovanni). Quant à l'interprétation, elle vaut par deux chanteurs impeccables, Foster-Williams et Spyres, et par la direction assez exceptionnelle de Fogliani. La meilleure version actuelle me semble cependant être celle de Pappano (EMI), loin devant celle de Luisi. Quant à celle de Gardelli de 1973, elle a le mérite d'être pionnière et gardera ses fans, ne fut-ce que pour Caballé et Gedda. Une chose est sûre : merci à Muti et à Chailly pour leurs belles réalisations, mais on n'enregistrera plus de Guglielmo Tell : l'original français domine pour toujours.
Bruno Peeters

Son 10 - Livret 8 - Répertoire 10 - Interprétation 9

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