Une face cachée du Cancionero de Uppsala, sobrement visitée par la Capella de Ministrers
Alegoría del Amor. Cantos de órgano y villancicos amorosos en el Cancionero de Uppsala. Ocho tonos de Cantos de órgano. Cómo puedo yo vivir ; Ay de mi! qu’en tierra agena ; Desdeñado soy de amor ; Si n’os huviera mirado ; No soy yo quien veis vivir ; Bella, de vós som amorós ; Andarán siempre mis ojos ; Si la noche haze oscura. Capella de Ministrers. Beatriz Lafont, soprano. Carles Magraner, Fernando Marín, vihuela de arco. Robert Cases, vihuela da mano et guitare Renaissance. Livret en espagnol, valencien, anglais ; paroles des chants en langue originale et traduction trilingue. Septembre 2022. 47’21’’. CdM 2457
Retrouvé en 1909 dans la ville suédoise légitimant son titre, ce « Chansonnier d’Uppsala » ne recèle pas d’antiques complaintes scandinaves, mais est associé à des latitudes bien plus méridionales, celles de la cour de Ferdinand d'Aragon (1488-1550), –à ne pas confondre avec son parent Fernando II el Católico (1452-1516). Cette origine vaut à ce recueil, sorti des presses vénitiennes de Girolamo Scotto en 1556, son autre appellation de Cancionero del Duc del Calabria.
Dans un contexte troublé par la révolte des Germanies, illustré par le même ensemble dans un précédent album capté en juillet 2019 (Guerra y paz en el Renacimiento, CDM 2049), la cour de Valence s'affirmait comme un refuge face à l'appauvrissement culturel de cette cité qui brillait jusque-là comme le joyau de la couronne d'Aragon. Humaniste, érudit, ouvert aux arts, le duc y cultivait le prestige des cénacles napolitains de son père, le roi Frédéric Ier (1451-1504). Parmi la quarantaine de musiciens recensés dans la chapelle, certains noms permettent d'identifier les probables auteurs des œuvres contenues dans le Chansonnier. En l’occurrence, Mateu Fletxa (1481-1553), Pedro de Pastrana (c1495-1563), Bartomeu Carceres ou Cristobal de morales (c1500-1553) auquel on attribue le Si n’os huviera mirado
Parmi la cinquantaine de villancicos préservés dans le recueil, essentiellement en castillan (et une poignée en catalan), le présent CD a exclusivement retenu des textes en lien avec la thématique annoncée par le titre, « allégorie de l’amour », tous confiés à une seule soprano. Ce qui explique que la part vocale de ce CD, résolument profane, ne partage que deux pièces (Si n’os huviera mirado et Si la noche haze oscura) avec l'anthologie enregistrée en septembre 1995 par La Capella Reial de Catalunya (Astrée), laquelle s'ouvrait aux pages chantant la Nativité, –une importante part dévotionnelle de ce recueil. On se souviendra pourtant que la Capella de Ministrers avait déjà gravé, en octobre 1990 sous la bannière « La Música Del Tirant - Cançoner Del Duc De Calábria », un florilège explorant les diverses thématiques du recueil, alors confiées à cinq chanteurs et un abondant consort de flûte, cornet, violas, claviers et percussion.
À la généreuse approche défendue hier par cette Capella de 1990 et par Jordi Savall cinq ans après, courtisant le faste du Siglo de Oro, l’équipe préfère ici la sobriété. Une recette non moins touchante. Beatriz Lafont laisse tendrement s’exhaler le contenu poétique, sur un pudique accompagnement de cordes pincées et frottées. Une vihuela de mano, une guitare, trois vihuelas de arco escortent ces huit villancicos, précédés par autant de pièces à deux voix, d’essence modale, de la série des Ocho tonos de canto de órgano, dont les canons fleurissent en contrepoint imitatif. Un attachant parcours où simplicité du chant et archaïsme de la parure suscitent le même souffle d’authenticité, et la même intimiste émotion, dans l’inspirante acoustique de l’Iglesia de Santa María de Requena.
Christophe Steyne
Son : 9 – Livret : 8,5 – Répertoire & Interprétation : 9,5