Une invitation d’Adèle Charvet à revivre la Belle Époque  

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Belle Époque ! Mélodies et pages pour piano de Isaac Albéniz (1860-1909), Louis Aubert (1877-1968), Alfred Bachelet (1864-1944), André Caplet (1878-1925), Ernest Chausson (1855-1899), Claude Debussy (1862-1918), Georges Enesco (1881-1955), Madeleine Dubois (1905-1942), Gabriel Fauré (1845-1924), Reynaldo Hahn (1874-1947), Charles Koechlin (1867-1950), Xavier Leroux (1863-1919), Jules Massenet (1842-1912), André Messager (1853-1929) et Ernest Moret (1871-1949). Adèle Charvet, mezzo-soprano ; Florian Caroubi, piano. 2024. Notice en français, en anglais et en allemand. Textes des mélodies, avec traductions. 69’ 28’’. Alpha 1175.

Née à Montpellier en 1993, la mezzo-soprano Adèle Charvet, fille du compositeur Pierre Charvet (°1968), a terminé ses études au CNSM de Paris. C’est une habituée du label Alpha. Pour ce dernier, elle donnait en 2019 Long Time Ago, un premier récital de mélodies, américaines et britanniques, avec la pianiste Susan Manoff. Vinrent ensuite le Stabat Mater de Pergolèse, avec la si regrettée Jodie Devos et le Concert de la Loge, et un programme italien, dont Vivaldi, autour du Teatro Sant’Angelo de Venise, avec Le Consort. Cette fois, c’est un éventail de mélodies d’une quinzaine de compositeurs qu’elle propose autour de la Belle Époque, et plus précisément, comme l’annonce l’intitulé de la notice, autour de Massenet, Fauré et Debussy, (de leurs) filiations et (des) cercles artistiques. Enseignement, proximité, amitiés, influences sont sollicités. Le musicologue Jean-Christophe Branger, auteur d’une récente biographie de Jules Massenet (Fayard, 2024), précise : l’amour reste le principal thème littéraire du genre.

On pourrait définir le côté opulent et généreux, mais bien dosé, de la voix d’Adèle Charvet par ses qualités d’émotion, de sincérité, d’intimité, mais aussi de sensualité. Celles-ci sont bien mises en valeur par un programme qui, s’il fait appel à des figures connues, accorde aussi une large place à des compositeurs moins fréquentés. Jules Massenet ouvre le récital avec la voluptueuse Nuit d’Espagne (1873/74) sur un texte de Louis Gallet, librettiste de Thaïs, Le Cid et Le Roi de Lahore, mais aussi pour Bizet et Saint-Saëns. Koechlin suit, avec les teintes cuivrées du Novembre de Paul Bourget (1901), avant Apparition de Debussy (1884) et le jour du premier baiser de la fée au chapeau de clarté, sur des vers de Mallarmé. 

De Chausson, Le Colibri (Leconte de Lisle, 1882) évoque lui aussi le baiser de la bien-aimée, avec une lascivité mélancolique. Fauré et sa Chanson du pêcheur (Théophile Gautier, 1870) énonce la douleur de l’amant face à la perte de celle qu’il vénère. Si les vers sont de qualité moyenne, les couleurs sont typées. Toujours de Fauré, le charme de Verlaine est mieux venu pour En sourdine (1891) et le silence profond de l’amour. On retrouve Massenet dans le poème pastoral parnassien d’Armand Silvestre, Crépuscule (1872), avec le répétitif si original « les coccinelles sont couchées ».

Dans ce récital, tout touche le cœur et permet à l’auditeur de partager l’émotion de la cantatrice, même si l’on aurait souhaité dans la Chevelure des Chansons de Bilitis de Pierre Louÿs (1889) que cisèle Debussy, une plus tendre rêverie. Mais comment résister à L’énamourée de Reynaldo Hahn (1891), où il est aussi question, par l’entremise de Théodore de Banville, de chevelure, qu’Adèle Charvet rend de façon lyriquement pure ? L’impression se prolonge dans La paix de blanc vêtue de Messager (1922) sur des mots du peu connu Léon Lahovary, oncle de la princesse Bibesco ; les canons grondants ont disparu, la paix est porteuse d’espérance. La voix en est garante.

Restent des compositeurs moins fréquentés, auxquels Adèle Charvet n’accorde pas moins de soin. Louis Aubert et l’un de ses Poèmes arabes d’après Franz Toussaint, Le Vaincu (1917), est frémissant de passion orientalisante face à la mer. Madeleine Dubois, une élève de Nadia Boulanger, donne au Spleen de Verlaine son poids de fragilité. On découvre de Xavier Leroux, un élève de Jules Massenet, la Plainte d’amour aux accents autodestructeurs de Paul Gravollet, qui fut de la Comédie-Française. Mais encore, de Ernest Moret, le désabusé Tu peux baisser la tête (1904), d’après Georges de Porto-Riche, spécialiste du théâtre d’amour, et le délicat Adieu en barque (1921) d’André Caplet, sur un texte de Paul Fort. On y ajoute deux curiosités : Entsagen (Renoncement) d’Enesco, en allemand d’après Carmen Silva, pseudonyme de la reine Élisabeth de Roumanie (1907), et Paradise regained d’Albéniz (1909), en anglais. 

Tout au long de ce récital éclectique, Adèle Charvet donne de cette Belle Époque qu’elle illustre une image intimiste, avec des épanchements maîtrisés, et l’on rend souvent les armes face à la sincérité que son chant distille, toujours teinté d’émotion. Elle bénéficie du partenariat de Florian Caroubi, pianiste au toucher subtil et raffiné, qui a fait ses études à Paris et à Lyon où il enseigne. Ce dernier se déclare partisan de la transmission et du partage ; il démontre cette volonté dans ce parcours enregistré sur la Scène nationale de Grand Poitiers en septembre 2024. Trois plages lui sont réservées, de Massenet (Mélodie, op. 10 n° 5), Fauré (Romance sans parole op. 17 n° 3) et Debussy (La fille aux cheveux de lin) ; elles confirment ses affinités électives avec ce panorama de la Belle Époque. 

Son : 8,5    Notice : 10    Répertoire : de 8 à 10    Interprétation : 9

Jean Lacroix

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