Vendredi : Shishkin lourd et uniforme suivi d'un magnifique Alberto Ferro

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Cette avant-dernière soirée de Finales a présenté deux pianistes diamétralement différents, le Russe Dmitry Shishkin et le jeune Italien Alberto Ferro. Ce dernier a livré une prestation remarquable tant dans l'imposé A Butterfly's Dream que dans le rarement joué premier concerto de Rachmaninov.

Dmitry_Shishkin30075Shishkin est donc le premier en piste. Au début de l'imposé, son jeu est tout en éclats, menés par des crescendo - decrescendo systématiques qui donnent beaucoup d'aspérités à la ligne mélodique. S'il est plutôt ludique dans les tutti avec l'orchestre, sa cadence propose à nouveau un phrasé saccadé manquant de fluidité. La tendresse tant désirée par Ledoux n'est pas présente. En tout cas, il s'agit bien d'une tendresse peut-être plus russe que française. L'impression générale est une inspiration uniforme. Tout se joue un peu dans la même veine. On se dit alors qu'il pourra mieux s'exprimer dans le premier concerto de Tchaïkovski. Passés les célèbres premiers accords, il entame le discours dans un tempo assez posé (voire un peu lent). Chaque note est donnée avec intensité. Si ce début déclamé peut séduire, il va assez vite lasser car Shishkin ne parvient pas (ou ne souhaite pas) à donner d'élans et tout s'alourdit, à commencer par l'ONB… Il joue constamment dans la même veine et il ne raconte pas la même histoire que l'orchestre. D'ailleurs, dans le deuxième mouvement il écrase volontiers le solo du violoncelliste. Il ne saisit pas les moments de musique de chambre qu'offre la partition. Le troisième mouvement est enfin plus enlevé. Mais dès que l'occasion se présente, il nous offre des suites d'octaves assourdissantes, le pied droit lourd sur la pédale, sans souci de la moindre phrase.
Alberto_Ferro30076Après la pause, jeune Italien de 20 ans, Alberto Ferro offre une tout autre vision du piano. Son imposé est superbe, et joué de mémoire qui plus est ! Son style est passionnant. Ferro a beaucoup de classe. Son jeu est sobre et efficace, pas d'effet de manche ou de gestes inutiles. Le son est magnifique. Musicien racé et intelligent, il a tout pour plaire. Son choix de concerto est étonnant : le premier concerto de Rachmaninov. Etait-ce vraiment le meilleur choix pour lui ? Quoi qu'il en soit, sa prestation est impressionnante. Déjà beaucoup de maturité musicale ! Si ce premier concerto n'a pas la force dramaturgique dans sa construction ni la puissance des thèmes des concertos n°2 et 3, il n'en reste pas moins qu'il offre aussi un terrain propice pour briller en concours. Ferro offre une version remarquable, quasi irréprochable. On peut juste regretter un peu de dureté dans la cadence du premier mouvement. Peut-être le seul moment, sur l'ensemble du concours, où Ferro n'aura pas proposé un beau son. Le public salue à juste titre sa prestation et un Rachmaninov raffiné ! Voilà un pianiste qu'on aimerait voir sur le podium !
Michel Lambert
Palais des Beaux-Arts, le 27 mai 2016

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