Vous qui savez ce qu’est l’amour : visite de guidée des Noces de Figaro au prisme de la vie d’une jeune chanteuse

Chanteuse et danseuse, Romie Estèves a créé Vous qui savez ce qu’est l’amour, un spectacle sur Les Noces de Figaro de Mozart, pour offrir une visite guidée très personnelle à « une vision kaléidoscopique » de cet opéra. À partir de l’air de Chérubin dont les premiers mots servent le titre de son onewomanshow, elle réussit à raconter en 1 h 40, avec une drôlerie assumée, l’histoire de tous les personnages qui gravitent autour de Figaro.

« Voi che sapete che cosa è amor » chante Chérubin dans son célèbre air de l’opéra de Mozart. Tout en suivant l’intrigue des Noces, Romie Estèves, chanteuse, comédienne et danseuse, parle, mime, danse et chante les hauts et les bas des chanteurs lyriques. Elle joue chaque personnage tour à tour, mais aussi son propre rôle de chanteuse qui joue son rôle. Et parfois, la frontière est si mince qu’on ne sait plus qui joue qui… Car pour elle, cet opéra « parle de la confrontation de tout un chacun avec le réel, avec les autres et avec ses propres désirs, il interroge l’injustice sociale entre les classes et entre les genres, la légitimité à aimer, à décider pour soi et pour les autres, et surtout le pouvoir de l’amour ». 

Le spectacle commence par l’ouverture, interprétée à la guitare électronique par Jérémy Peret (3e prix au concours GFA aux Etats-Unis, 2e prix aux concours de Séville, de Sernancelhe au Portugal, ainsi qu’à Tokyo…) sur une bande-son orchestrale. Le ton est donné. « Moi », une jeune artiste lyrique commençant sa carrière et qui rêve de chanter le rôle de Chérubin se mêle au personnage de Chérubin lui-même. Un aller-retour permanent entre ces deux êtres, « moi » commentant le rôle de Chérubin et Chérubin prenant des libertés et se comportant comme un adolescent d’aujourd’hui, dans un va-et-vient entre le français et l’italien. Tout le spectacle est construit sur l’art du ping-pong entre la vie de la chanteuse et différents personnages de l’opéra dont le récit de situations et d’actions prend diverses formes : audition pour obtenir le rôle, répétition avec le metteur en scène, leçon de chant, confidence douloureuse sur son métier à une amie… jusqu’à la situation de Marceline commentée à la première personne et filmée à la manière d’un commentaire de télé réalité !

Quelques airs des Noces sont chantés entièrement, toujours au son de la guitare, électronique ou acoustique. Parfois, le guitariste vit son propre fantasme au beau milieu de l’histoire ; lui aussi, il prend la liberté de jouer des tubes de musique rock, comme s’il n’existait que lui sur scène. Dans la plus grande partie du spectacle, on voit sur un petit écran projeté un enregistrement vidéo de l’opéra dans une mise en scène très classique et un peu désuète ; avec des costumes et perruques de XVIIIe, où tout se déroule très bien, comme une sorte de contre-pied à « moi » qui se bat si dur pour vivre le rôle.

Selon les personnages, Romie Estèves change de costume, de ton, de maintien et d’allure dans un rythme effréné, invitant le spectateur à entrer à son tour dans l’univers fragile mais passionnant de la fabrique de l’opéra. Le décor représentant les coulisses, avec bricoles et accessoires de backstage invisibles depuis la scène, évoque cette fragilité.

L’imagination de Romie Estèves est intarissable dans cette « performance lyrique et théâtrale », on sent beaucoup de ses vécus. Sa formidable énergie est réjouissante, et si on note quelques problèmes de justesse lorsqu’elle chante, on les pardonne sans peine car c’est inévitable quand on est ainsi constamment en mouvement ; au contraire, cela fait partie du charme du spectacle qui évolue à la vitesse grand V.

« Vous qui savez ce qu’est l’amour » sera repris à Paris, au Théâtre de l’Athénée, du 23 avril au 6 mai 2020.

Représentation du 9 novembre 2012, Maison des arts et loisirs de Laon, dans le cadre du Festival de Laon.

Crédits photographiques : Robert Lefèvre