Arias baroques : double réseau d’hommage, avec Luan Góes et Sonia Prina

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Dolce Pupillo. Œuvres de Nicola Porpora (1686-1768), Alessandro Scarlatti (1660-1725), Georg Friedrich Händel (1685-1759), Antonio Vivaldi (1678-1741), Giovanni Bononcini (1670-1747), Johann Kaspar Kerll (1627-169), Agostino Steffani (1657-1728), Giovanni Legrenzi (1626-1690), Giovanni Paolo Colonna (1637-1695), Antonio Lotti (1667-1740), Giacomo Carissimi (1607-1674), Henrico Albicastro (1660-1730). Luan Góes, contreténor. Sonia Prina, contralto. Les Furiosi Galantes. Enrico Parizzi, Kasumi Higurashi, violon. Jennifer Lutter, altos. Alexander Botoš, violoncelle. Rubén Castañeda, contrebasse. Beto Caserio, hautbois. Eva Godard, cornet. Nicolas Mary, basson. Morgan Marquié, théorbe, luth. João Rival, clavecin. Juillet 2022. Livret en français, anglais ; paroles non reproduites. TT 78’51. Indésens Calliope. IC030

Cet album se veut un hommage. Et même à double-niveau : en préambule, dans une salve de remerciements, Luan Góes salue son « dernier maître et mentor » Sonia Prina, ici invitée comme partenaire d’un répertoire qui interroge quelques rapports d’émulation entre compositeurs. D’une plage à la suivante, le programme ambitionne d’illustrer les liens successifs, et conséquemment l’évolution esthétique depuis le recitar cantando jusqu’aux airs avec da capo relevant du genre de l’opera seria.

À vrai dire, rien d’une mince affaire pour Luigi Sebastiani que de démêler en sa notice la « diffusion de la pensée musicale dans l’Europe baroque » et au gré des pérégrinations les réseaux d’influence, les héritages parfois alambiqués. Ainsi Agostino Steffani, natif de l’aire vénitienne, qui s’imprégna de Giacomo Carissimi… à Munich via l’enseignement de Johann Kaspar Kerll, avant de s’aguerrir lui-même à Rome. En revanche, c’est en la cité pontificale que se fonda la carrière de Giovanni Bononcini, poursuivie à Vienne, Berlin, et finalement transbordée à Londres où il s’inscrivit comme rival de Haendel, le « Cher Saxon ». Bologne et surtout Naples sont d’autres foyers majeurs évoqués dans cette mosaïque d’imbrications qui de Cours en Conservatoires investigue la généalogie d’une « chaîne imaginaire du savoir ».

Au-delà de ces polarités de transmission plus ou moins conjecturales, l’adroite conception de cet album permet un cheminement où les raretés (tirées de Proteo sul Reno et Almahaide de Bononcini, d’Il Giustino de Legrenzi…) côtoient des hauts lieux (Giulio Cesare, Partenope de Haendel…). Où les airs alternent entre le contreténor brésilien et la contralto italienne. Où ces solos sont rejoints par quatre duos (Son nata a lagrimar, Pur ch’il foco ond’io m’infiammo, Rimanti in pace omai, Se t’abborro e la tua morte). Où ces pages vocales s’entretoisent à quelques intermèdes instrumentaux : des Sinfonias (Dorilla in Tempe ; Il Mosé où luit le cornet d’Eva Godard ; les pulsatiles poinçons d’Alcina) et même une sonate à deux violons de Kerll, et un Adagio extrait d’un concerto d’Albicastro que susurre le gracile hautbois de Beto Caserio. L’occasion d’applaudir la fine équipe des Furiosi Galantes, qui en parfait caméléon se coule aussi bien dans les soies rêveuses de Dormi o fulmine di guerra qu’ils décapent avec agilité l’accompagnement des numéros de bravoure comme Gelido in Ogni Vena.

De l’aînée, on appréciera la mezza voce enchanteresse, baignée dans un timbre toujours aussi liquoreux, et la subtilité des nuances qui s’étirent dans l’air de La Giuditta. On sait que les ans améliorent rarement les réserves de ventilation, toutefois la projection est ici secourue par une chaleureuse incarnation (Discordi Pensieri) et un tempérament ardent (Furibondo spira il vento). Le disciple se distingue d’emblée par un registre ample (Emi se mai disciolgo) et homogène, quoiqu’il pourra encore gagner en souplesse, couleurs et focalisation. Ses talents dramatiques se montrent parfois surinvestis, voire un peu poseurs (Mi lusinga il dolce affetto), mais saurait-on résister à l’impeccable fusion de la voix dans l’écrin orchestral qu’il dirige suavement (Lumi, potete piangere) ?

Un tel projet oserait-il se conclure autrement que par un fringant duo ? On regrettera seulement que risquer comme coup d’éclat les redoutables vocalises de Se t’abborro conduise à ne pas exposer une précision incontestable. En tout cas, au travers de ce récital à multiples gageures, plein à ras bord (près d’une heure vingt), le contreténor initié à Rio de Janeiro nous offre de très encourageantes prémices discographiques qui motivent à suivre sa future et prometteuse trajectoire. L’on ne manquera pas l’inspirante, conviviale confrontation avec sa professeure, pédagogue recherchée, qu’on se réjouit de réentendre dans cette carte de visite qui peut s’enorgueillir d’un fertile enseignement.

Christophe Steyne

Son : 8,5 – Livret : 8 – Répertoire : 7-9 – Interprétation : 9

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