Curieux... oyez ! Puristes... fuyez!
“En sourdine”. Mélodies de Gabriel Fauré (1845-1924) , Claude Debussy (1862-1918) et Francis Poulenc (1899-1963). Laurent Naouri, baryton ; Frédéric Loiseau, guitare. 2020. Livret français et anglais. 41’40. Alpha Classics. Alpha 628
Ce nouveau travail du toujours attachant Laurent Naouri en compagnie du guitariste de jazz Fréderic Loiseau aura de quoi faire frémir d'effroi les plus puristes défenseurs de la tradition sacro-sainte de la mélodie française. Je sens déjà le malaise du vieux professeur/e de chant garant des plus pures essences. Car l'instrument utilisé est une guitare... électrique ! Et Naouri chante tout cela comme si c'était de la chanson, à mi-chemin entre le cabaret et le salon. Son postulat esthétique est que la projection classique de la voix ne favorise pas à la compréhension des paroles. Argument à prendre en considération, mais sans oublier que des artistes comme Fischer-Dieskau, Bernac ou Bacquier étaient, eux, capables de projeter les moindres détails du texte tout en modulant souplement l'émission vocale classique.
Ceci dit, Naouri est à quelques lieues d'écart des différents artistes de variétés qui se sont frottés avec plus ou moins de succès à l'adaptation des mélodies françaises fin de siècle : sa palette d'expressions du texte est d'une richesse admirable et son maniement des couleurs vocales, dans ce ton d'intimité que lui procure le cadre délicat tissé par Loiseau, dénote sa grande connaissance de l'art du chant. Cette version pour guitare réduit presque à néant les textures pianistiques des auteurs : Fauré, Debussy ou Poulenc se trouvent ainsi privés de l'habillement savant qu'ils avaient prévu pour cette collection de petits chefs-d'oeuvre : Loiseau en fait une réduction aussi drastique que redoutablement efficace. Et pourtant, il faut avouer que ce CD est franchement séduisant. Si l'on essaie de faire fi de toute tradition, d'oublier que ces œuvres ont vécu plus d'un siècle au contact de tout grands interprètes et si l'on imaginait qu'on les entend pour la première fois, on se trouve face à de la très belle musique... populaire !
Et cela sur des textes d'une beauté fascinante. Car les véritables gagnants du pari sont les poètes : Naouri sert si bien ses textes, et leur compréhension devient si aisée que l'on se croirait à un récital de poésie soutenue par un guitariste-improvisateur de talent. Je ne suis pas sûr que je choisirais ce disque sur une île déserte en attendant la fin du monde... mais l'écouter m'a fait beaucoup de bien et cette approche m'a semblé très salutaire pour remuer ses propres préjugés concernant l'interprétation. Et s'il pouvait servir à faire connaître ce patrimoine à des nouveaux publics... bénit soit-il !
Son : 10 Livret : 9 Répertoire : 9 Interprétation : 10
Xavier Rivera