Diana Damrau et l’opérette : charme, élégance et légèreté

par

Operette Wien, Berlin, Paris. Airs de Robert Stolz (1880-1975), Paul Lincke (1866-1946), Franz Lehár (1870-1948), Emmerich Kálmán (1882-1953), Richard Heuberger (1850-1914), Francis Lopez (1916-1995), Johann Strauss fils (1825-1899), André Messager (1853-1929), Paul Abraham (1892-1960), Henri Christiné (1867-1941) et Oscar Straus (1870-1954). , soprano ; Jonas Kaufmann, ténor ; Elke Kottmair, soprano et Emily Sierra, mezzo-soprano ; Münchner Rundfunkorchester, direction Ernst Theis. 2023. Notice en allemand, en anglais et en français. 61.15. Erato 5054197827983.

Dans un entretien croisé avec la soprano Elke Kottmair, qui a été sa camarade d’études et à laquelle elle a fait appel pour l’élaboration du programme en raison de son investissement dans le domaine léger, Diana Damrau énonce une profession de foi, en précisant que, pour elle, l’opérette est le genre le plus complet au sein du théâtre musical. Elle ajoute que ses grands élans, mais aussi sa gaieté et son comique sont touchants et montrent le côté positif de l’existence humaine. Elke Kottmair, de son côté, souligne avec raison le fait que ce genre a bien plus à offrir que des banalités et de jolies valses, qu’il se nourrit de contrastes de second degré, nous tend un miroir malicieux sur nos faiblesses humaines dans lesquelles nous nous reconnaissons tous

Le présent programme permet à la soprano bavaroise, dont les éminentes capacités dans les répertoires lyriques allemand, italien ou français ne sont plus à démontrer, de briller de mille feux dans un répertoire scintillant, qui, à côté d’airs connus, propose quelques raretés qui donnent à l’auditeur l’envie irrépressible de passer du simple extrait à la (re)découverte approfondie de partitions séduisantes. Le rôle de la femme est mis en évidence, annonce encore Diana Damrau, en particulier celle qui lutte pour l’amour avec tous les moyens mis à sa disposition. L’album montre, dans sa dramaturgie, les différentes étapes de ce genre de situation, l’espoir du grand amour, le premier chagrin d’amour, et jusqu’à la manière élégante et coquette de passer outre. La mise en pratique est éloquente et offre l’opportunité à Diana Damrau, dans un récital qui fera l’unanimité, de faire la démonstration de sa cinquantaine épanouie. Quelques scories occasionnelles dans la voix seront relevées par les esprits tatillons, mais elles ne sont guère gênantes. 

L’escapade nous entraîne de la seconde moitié du XIXe siècle jusqu’aux années 1950 : de Vienne à Paris, en passant par Berlin, l’opérette fascine le public et peint les travers sociaux et politiques de la réalité quotidienne, comme l’écrit si bien le chef d’orchestre Ernst Theis. Au fil de dix-huit plages savoureuses, un panorama haut en couleurs, en légèreté et en raffinement, défile pour un plaisir sans cesse renouvelé. L’Autrichien Robert Stolz, compositeur prolifique qui a gravé dans les années 1970 une remarquable anthologie d’enregistrements de musique viennoise pour RCA, ouvre le bal avec l’air bien connu Du sollst der Kaiser meiner Seele sein, tiré de Der Favorit. On est tout de suite dans l’enchantement, qui se prolonge avec l’Allemand Paul Lincke, dont tout le monde connaît les passages sifflés de Berliner Luft, l’hymne officieux de Berlin, tiré de Frau Luna (1899), dont on découvre ici un extrait. À tout seigneur tout honneur : Franz Lehár est présent à cinq reprises, dont un délicieux Das Lied der LIebe, Diana Damrau étant ici en partenariat avec Jonas Kaufmann. Ce dernier est encore invité pour Im weissen Rössl de Stolz, et pour un tendre et délicat Im Chambre séparée de Richard Heuberger ; ce régal est issu de Der Opernball (1898), dont la finesse langoureuse d’une action parisienne ne lasse jamais. Johann Strauss fils n’est gratifié que d’un seul extrait, tiré de Das Spitzenbuch der Königin (« Le Miroir en dentelle de la reine »), créé à Vienne en 1880, dont le héros est le poète espagnol Cervantès. Ici, Diana Damrau chante, avec son amie Elke Kottmair et la mezzo Emily Sierra, l’air plein de grâce Wo die wilde Rose erblüth, dont les thèmes serviront à la valse, op. 388, Rosen aus dem Süden.

La France est bien représentée : Messager à deux reprises, avec Rossignol, tout comme autrefois (sans les chœurs) de Monsieur Beaucaire (1919) et par l’impertinent J’ai deux amants, tiré de L’Amour masqué (1923), un texte de Sacha Guitry qui fut l’un des fleurons d’Yvonne Printemps. Le registre de Diana Damrau n’atteint peut-être pas ici le côté espiègle de la cantatrice française, mais la Bavaroise dévoile par contre tout à fait le sien dans le badinage de Phi-Phi (1918) d’Henri Christiné, Bien chapeautée ; la verve comique des vers d’Albert Willemetz et de Fabien Solar est ici à son comble. Diana Damrau s’amuse follement avec les allusions délicieusement érotisées qui parsèment la tirade (bottée, corsetée, pomponnée, maquillée, poudrée…). Elle soigne une prononciation française qui ne lui est pas naturelle, mais qui, si elle n’est pas parfaite, rend justice à ce petit bijou de fine élégance. Francis Lopez n’est pas oublié non plus, avec un extrait d’Andalousie (1947) qui a connu très vite la reconnaissance cinématographique avec Luis Mariano et Carmen Sevilla. Le titre, Ça fait tourner la tête, pourrait résumer à lui seul ce délectable récital de Diana Damrau.

Le projet mis en place atteint pleinement son but avoué : démontrer que l’opérette a d’indiscutables titres de noblesse et qu’elle permet, comme l’affirme le chef d’orchestre Ernst Theis, meneur avec chic et brio des musiciens munichois, d’oublier les malheurs du monde avec des mélodies merveilleuses. On ne peut que lui donner raison.

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 10   Interprétation : 10

Jean Lacroix  

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